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Citations sur L'Espace du dedans (87)

L'ANIMAL MANGE-SERRURE

Dans les couloirs de l'hôtel, je le rencontrai qui se promenait avec un petit animal mange-serrure.
Il posait le petit animal sur son coude, alors le petit animal était content et mangeait la serrure.
Puis il allait plus loin et l'animal était content et une autre serrure était mangée. Et ainsi de plusieurs, et ainsi de quantité. L'homme se promenait comme quelqu'un dont le « chez soi » est devenu plus considérable. Dès qu'il poussait une porte, une nouvelle vie commençait pour lui.
Mais le petit animal était si affamé de serrures que son maître devait bientôt ressortir à la recherche d'autres effractions, si bien qu'il trouvait peu de repos.
Je ne voulus pas faire alliance avec cet homme, je lui dis que, moi, ce que je préférais dans la vie, c'était de sortir. Il eut un regard blanc. Nous n'étions pas du même bord, voilà tout, sans quoi j'aurais fait alliance avec lui; Il me plaisait sans me convenir.

p.209
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emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
sur les tapis des paumes et leur sourire,
dans les corridors des os longs et des articulations,

emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
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Ecce homo Henri Michaux

Qu'as-tu fait de ta vie, pitance de roi ?

J'ai vu l'homme.

Je n'ai pas vu l'homme comme la mouette, vague au ventre, qui file rapide sur la mer indéfinie.

J'ai vu l'homme à la torche faible, ployé et qui cherchait.
Il avait le sérieux de la puce qui saute, mais son saut était rare et réglementé.

Sa cathédrale avait la flèche molle.
Il était préoccupé.

Je n'ai pas entendu l'homme, les yeux humides de piété, dire au serpent qui le pique mortellement : « Puisses-tu renaître homme et lire les Védas! »

Mais j'ai entendu l'homme comme un char lourd sur sa lancée écrasant mourants et morts,
et il ne se retournait pas.

Son nez était relevé comme la proue des embarcations Vikings,
mais il ne regardait pas le ciel, demeure des dieux ; il regardait le ciel suspect,
d'où pouvaient sortir à tout instant des machines implacables, porteuses de bombes puissantes.

Il avait plus de cerne que d'yeux, plus de barbe que de peau, plus de boue que de capote,
mais son casque était toujours dur.

Sa guerre était grande, avait des avants et des arrières, avait des avants et des après.
Vite partait l'homme, vite partait l'obus.
L'obus n'a pas de chez soi. Il est pressé quand même.

Je n'ai pas vu paisible, l'homme au fabuleux trésor de chaque soir
pouvoir s'endormir dans le sein de sa fatigue amie.

Je l'ai vu agité et sourcilleux.
Sa façade de rires et de nerfs était grande, mais elle mentait.
Son ornière était tortueuse. Ses soucis étaient ses vrais enfants.

Depuis longtemps le soleil ne tournait plus autour de la Terre. Tout le contraire.
Il continuait à s'agiter comme fait une flamme brûlante, mais le torse du froid,
il était là sous sa peau.

Je n'ai pas vu l'homme comptant pour homme.
J'ai vu « Ici, l'on brise les hommes ».
Ici, on les brise, là on les coiffe et toujours il sert.
Piétiné comme une route, il sert.

Je n'ai pas vu l'homme recueilli, méditant sur son être admirable.
Mais j'ai vu l'homme recueilli comme un crocodile qui de ses yeux de glace regarde venir sa proie et, en effet, il l'attendait, bien protégé au bout d'un fusil long.
Cependant, les obus tombant autour de lui étaient encore beaucoup mieux protégés.
Ils avaient une coiffe à leur bout qui avait été spécialement étudiée pour sa dureté,
pour sa dureté implacable.

Je n'ai pas vu l'homme répandant autour de lui l'heureuse conscience de la vie.
Mais j'ai vu l'homme comme un bon bimoteur de combat répandant la terreur et les maux atroces.

Il avait, quand je le connus, à peu près cent mille ans et faisait aisément le tour de la Terre.
Il n'avait pas encore appris à être bon voisin.

Il courait parmi eux des vérités locales, des vérités nationales.
Mais l'homme vrai, je ne l'ai pas rencontré.

Toutefois excellent en réflexes et en somme presque innocent : l'un allume une cigarette ;
l'autre allume un pétrolier.

Je n'ai pas vu l'homme circulant dans la plaine et les plateaux de son être intérieur,
mais je l'ai vu faisant travailler des atomes et de la vapeur d'eau, bombardant des fractions d'atomes, qui n’existaient peut-être même pas,
regardant avec des lunettes son estomac, sa vessie, les os de son corps
et se cherchant en petits morceaux, en réflexes de chien.

Je n'ai pas entendu le chant de l'homme, le chant de la contemplation des mondes,
le chant de la sphère, le chant de l'immensité, le chant de l'éternelle attente.

Mais j'ai entendu son chant comme une dérision, comme un spasme.
J'ai entendu sa voix comme un commandement, semblable à celle du tigre,
lequel se charge en personne de son ravitaillement et s'y met tout entier.

J'ai vu les visages de l'homme.
Je n'ai pas vu le visage de l'homme comme un mur blanc qui fait lever les ombres de la pensée, comme une boule de cristal qui délivre des passages de l'avenir,
mais comme une image qui fait peur et inspire la méfiance.

J'ai vu la femme, couveuse d'épines, la femme monotone à l'ennui facile,
avec la glande d'un organe honteux faisant la douceur de ses yeux.
Les ornements dont elle se couvrait, qu'elle aimait tant, disaient
« Moi.
Moi.
Moi ».

C'était donc bien lui, lui, toujours l'homme, l'homme gonflé de soi,
mais pourtant embarrassé et qui veut se parfaire et qui tâtonne,
essayant de souder son clair et son obscur.

Avec de plus longs cheveux et des façons de liane, c'était toujours le même à la pente funeste, l'homme empiétant qui médite de peser sur votre destin.

J'ai vu l'époque, l'époque tumultueuse et mauvaise travaillée par les hormones de la haine
et des pulsions de la domination,
l'époque destinée à devenir fameuse, à devenir l'Histoire, qui s'y chamarrerait de l'envers de nos misères, mais c'était toujours lui, ça tapait toujours sur le même clou.

Des millions de son espèce vouée au malheur entraient en indignation au même moment
et se sentaient avoir raison avec violence, prêts à soulever le monde,
mais c'était pour le soulever sur les épaules brisées d'autres hommes.

La guerre ! l'homme, toujours lui, l'homme à la tête de chiffres et de supputations sentant la voûte de sa vie d'adulte sans issue et qui veut se donner un peu d'air,
qui veut donner un peu de jeu à ses mouvements étroits, et voulant se dégager, davantage se coince.

La Science, l'homme encore, c'était signé.
La science aime les pigeons décérébrés, les machines nettes et tristes,
nettes et tristes comme un thermocautère sectionnant un viscère
cependant que le malade écrasé d'éther gît dans un fond lointain et indifférent.

Et c'étaient les philosophies de l'animal le moins philosophe du monde,
des ies et des ismes ensevelissant de jeunes corps dans de vieilles draperies,
mais quelque chose d'alerte aussi et c'était l'homme nouveau, l'homme insatisfait,
à la pensée caféinée, infatigablement espérant qui tendait les bras.
(Vers quoi les bras ne peuvent-ils se tendre?)

Et c'était la paix, la paix assurément, un jour, bientôt, la paix comme il y en eut déjà des millions, une paix d'hommes, une paix qui n'obturerait rien.

Voici que la paix s'avance semblable à un basset pleurétique et l'homme plancton,
l'homme plus nombreux que jamais, l'homme un instant excédé,
qui attend toujours et voudrait un peu de lumière...


Printemps 1943
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Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard
Et du son de peau de tambour,
Je vous assoirai des forteresses écrasantes et superbes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquelles votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussière de sable sans raison.

in Contre !
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MOUVEMENTS


…Signes non pour retour en arrière
mais pour mieux « passer la ligne » à chaque instant
signes non comme on copie
mais comme on pilote
ou, fonçant inconscient comme on est piloté

Signes, non pour être complet, non pour conjuguer
mais pour être fidèle à son « transitoire »
Signe pour retrouver le don des langues
la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ?
Écriture directe enfin pour le dévidement des formes
pour le soulagement, pour le désencombrement des images
dont la place publique-cerveau est en ces temps,
particulièrement engorgée

Faute d’aura, au moins éparpillons nos effluves.

p.330
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MOUVEMENTS


…Mouvements d’écartèlement et d’exaspération intérieure plus que
mouvements de la marche
mouvements d’explosion, de refus, d’étirement en tous sens
d’attractions malsaines, d’envies impossibles
d’assouvissement de la chair frappée à la nuque
Mouvements sans tête
À quoi bon la tête quand on est débordé?
Mouvements des replis et des enroulements sur soi-même en
attendant mieux
mouvements des boucliers intérieurs
mouvements à jets multiples
mouvements à la place d’autres mouvements
qu’on ne peut montrer, mais qui habitent l’esprit
de poussières
d’étoiles
d’érosion
d’éboulements
et de vaines latences…

p.326

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EN PENSANT AU PHÉNOMÈNE
DE LA PEINTURE

La volonté, mort de l'Art.


Dessinez …griffonnez ..., il apparait presque toujours sur le papier des visages.

Faces de perdus, de criminels parfois, ni connues ni absolument étrangères non plus (étrange, lointaine correspondance !)… Visages des personnalités sacrifiées, des « moi » que la vie, la volonté, l’ambition, le goût de la rectitude et de la cohérence étouffa, tua. Visages qui reparaitront jusqu’à la fin (c’est si dur d’étouffer, de noyer définitivement).
Visages de l’enfance, des peurs de l’enfance dont on a perdu plus la trame et l’objet que le souvenir, visages qui ne croient pas que tout a été réglé par le passage à l’âge adulte, qui craignent encore l’affreux retour.
Visages de la volonté, peut-être, qui toujours nous devance et tend à préformer toute chose : visages aussi de la recherche et du désir.
Ou sorte d’épiphénomène de la pensée (un des nombreux que l’effort pensant ne peut s’interdire de provoquer, quoique parfaitement inutile à l’intellection, mais dont on ne peut pas plus s’empêcher que de faire de vains gestes au téléphone)… comme si l’on formait constamment en soi un visage fluide, idéalement plastique et malléable, qui se formerait et se déformerait correspondément aux idées et aux impressions qu’elles modèlent par automatisme en une instantanée synthèse, à longueur de journée et en quelque sorte cinématographiquement.
Foule infinie : notre clan.
Ce n’est pas dans la glace qu’il faut se considérer.
Hommes, regardez-vous dans le papier.

p.306-307

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LOINTAIN INTÉRIEUR (1938)
Magie II

Dès que je la vis, je la désirai.
D’abord pour la séduire, je répandis des plaines et des plaines. Des plaines sorties de mon regard s’allongeaient, douces, aimables, rassurantes.
Les idées de plaine allèrent à sa rencontre, et sans le savoir, elle s’y promenait, s’y trouvant satisfaite.
L’ayant bien rassurée, je la possédai.
Cela fait, après quelque repos et quiétude, reprenant mon naturel, je laissai réapparaître mes lances, mes haillons, mes précipices.
Elles sentit un grand froid et qu’elle s’était trompée tout à fait sur mon compte.
Elle s’en alla la mine défaite et creusée, et comme si on l’avait volée.

p.200
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Lointain Intérieur, 1938
DIMANCHE A LA CAMPAGNE

Jarrettes et Jarnetons s'avançaient sur la route débonnaire.
Darvises et Potamons folâtraient dans les champs.
Une de parmegarde, une de tarmouise, une vieille paricaridelle ramiellée et foruse se hâtait vers la ville.
Garinettes et Farfalouves devisaient allégrement.
S'éboulissant de groupe en groupe, un beau Ballus de la famille des Bormulacés rencontra Zanicovette. Zanicovette sourit, ensuite Zanicovette, pudique, se detourna.
Hélas ! la paricaridelle, d'un coup d'œil, avait tout vu.
« Zanicovette », cria-t-elle. Zanicovette eut peur et s'enfuit.
Le vieux soleil entouré de nuages s'abritait lentement à l'horizon.
L'odeur de la fin du jour d'été se faisait sentir faiblement, mais profondément, futur souvenir indéfinissable dans les mémoires.
Les embasses et les ranoulements de la mer s'entendaient au loin, plus graves que tout à l'heure. Les abeilles étaient déjà toutes rentrées. Restaient quelques moustiques en goupil.
Les jeunes gens, les moins sérieux du village, s'acheminèrent à leur tour vers leur maisonnette.
Le village formait sur une éminence une éminence plus découpée. Olopoutre et pailloché, avec ses petits toits égrissés et croquets, il fendait l'azur comme un petit navire excessivement couvert, surponté et brillant, brillant !
La paricaridelle excitée et quelques vieilles coquillardes, sales rides et mauvaises langues, achactées à tout, épiaient les retardataires. L'avenir contenait un sanglot et des larmes. Zanicovette dut les verser.

p.212-213

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Lointain Intérieur (1938)
extrait de Magie

V
Je suis tellement faible (je l'étais surtout), que si je pouvais coïncider d'esprit avec qui que ce soit, je serais immédiatement subjugué et avalé par lui et entièrement sous sa dépendance ; mais j'y ai l'œil, attentif, acharné plutôt à être toujours bien exclusivement moi.
Grâce à cette discipline, j'ai maintenant des chances de plus en plus grandes de ne jamais coïncider avec quelque esprit que ce soit et de pouvoir circuler librement en ce monde.
Mieux ! M'étant à tel point fortifié, je lancerais bien un défi au plus puissant des hommes. Que me ferait sa volonté ? Je suis devenu si aigu et circonstancié, que, m'ayant en face de lui, il n'arriverait pas à me trouver.

p.202-203
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