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Citations sur L'Espace du dedans (87)

CHANT DE MORT


La fortune aux larges ailes, la fortune par erreur m’ayant emporté avec les autres vers son pays joyeux, tout à coup, mais tout à coup, comme je respirais enfin heureux, d’infinis petits pétards dans l’atmosphère me dynamitèrent et puis des couteaux jaillissant de partout me lardèrent de coups, si bien que je retombai sur le sol dur de ma patrie, à tout jamais la mienne maintenant.

La fortune aux ailes de paille, la fortune m’ayant élevé pour un instant au-dessus des angoisses et des gémissements, un groupe formé de mille, caché à la faveur de ma distraction dans la poussière d’une haute montagne, un groupe fait à la lutte à mort depuis toujours, tout à coup nous étant tombé dessus comme un bolide , je retombai sur le sol dur de mon passé, à tout jamais présent maintenant.

La fortune encore une fois, la fortune aux draps frais m’ayant recueilli avec douceur, comme je souriais à tous autour de moi, distribuant tout ce que je possédais, tout à coup, pris par on ne sait quoi venu par en dessous et par derrière, tout à-coup, comme une poulie qui se décroche, je basculai, ce fut un saut immense, et je retombai sur le sol dur de mon destin, destin à tout jamais le mien maintenant.

La fortune, encore une fois, la fortune à la langue d’huile, ayant lavé mes blessures, la fortune comme un cheveu qu’on prend et qu’on tresserait avec les siens, m’ayant pris et m’ayant uni indissolublement à elle, tout à coup comme déjà je trempais dans la joie, tout à coup la Mort vint et dit : « il est temps. Viens. » La Mort, à tout jamais la Mort maintenant.

p.112-113
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MES PROPRIÉTÉS

ENCORE DES CHANGEMENTS


À force de souffrir, je perdis les limites de mon corps et me démesurai irrésistiblement.
Je fus toutes choses : des fourmis surtout, interminablement à la file, laborieuses et toutefois hésitantes. C'était un mouvement fou. Il me fallait toute mon attention. Je m'aperçus bientôt que non seulement j'étais les fourmis, mais aussi leur chemin. Car de friable et poussiéreux qu'il était, il devint dur et ma souffrance était atroce. Je m'attendais, à chaque instant, qu'il éclatât et fût projeté dans l'espace. Mais il tint bon.
Je me reposais comme je pouvais sur une autre partie de moi, plus douce. C'était une forêt et le vent l'agitait doucement. Mais vint une tempête, et les racines pour résister au vent qui augmentait me forèrent, ce n'est rien, mais me crochetèrent si profondément que c'était pire que la mort.
Une chute subite de terrain fit qu'une plage entra en moi, c'était une plage de galets. Ça se mit à ruminer dans mon intérieur et ça appelait la mer, la mer.
Souvent je devenais boa et, quoique un peu gêné par l'allongement, je me préparais à dormir, ou bien j'étais bison et je me préparais à brouter, mais bientôt d'une épaule me venait un typhon, les barques étaient projetées en l'air, les steamers se demandaient s'ils arriveraient au port et l'on n'entendait que des S. O. S.

p.48-49
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PASSAGES
JOUER AVEC LES SONS

Quand rien ne vient, il vient toujours du temps,
du temps,
sans haut ni bas,
du temps,
sur moi,
avec moi,
en moi,
par moi,
passant ses arches en moi qui me ronge et attends.

Le Temps.
Le Temps.
Je m'ausculte avec le Temps.
Je me tâte.
Je me frappe avec le Temps.
Je me séduis, je m'irrite...
Je me trame,
Je me soulève,
je me transporte,
Je me frappe avec le Temps...

Oiseau-pic.
Oiseau-pic.
Oiseau-pic.
*

p.311

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PASSAGES
JOUER AVEC LES SONS

…Quelle étrange chose au début, ce courant qui se révèle, cet inattendu liquide, ce passage porteur, en soi, toujours et qui était.
On ne reconnait plus d'entourage (le dur en est parti).
On a cessé de se heurter aux choses. On devient capitaine d'un FLEUVE...

On est pris d'une étrange et dangereuse propension aux bons sentiments. Tout est pente. Les moyens déjà sont paradis.
On ne trouve pas les freins; ou pas aussi vite qu'on ne trouve le merveilleux...

On met en circulation une monnaie d'eau.

Comme une cloche sonnait un malheur, une note, une note n'écoutant qu'elle-même, une note à travers tout, une note basse comme un coup de pied dans le ventre, une note âgée, une note comme une minute qui aurait à percer un siècle, une note tenue à travers le discord des voix, une note comme un avertissement de mort, une note, cette heure durant m'avertit.

Dans ma musique, il y a beaucoup de silence.
Il y a surtout du silence.
II y a du silence avant tout qui doit prendre place.
Le silence est ma voix, mon ombre, ma clef... signe sans m'épuiser, qui puise en moi.
Il s'étend, il s'étale, il me boit, il me consomme.
Ma grande sangsue se couche en moi.
*

p310-311
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peintures (1939)
TÊTES

Quand je commence à étendre de la
peinture sur la toile, il apparaît d'habi-
tude une tête monstrueuse…


Devant moi, comme si elle n’était pas à moi…
Parfois supportée par d’infimes tiges qui n’ont jamais été un corps; nourrie d’elle-même, de mon immense chagrin plutôt, oui, oui, chagrin de je ne sais précisément quoi, mais auquel collabora une époque, non, trois époques déjà, et si mauvaises toutes, si riches en défaites, en drapeaux déchirés, en mesquineries, en idéaux de pacotille, en art de vivre pour bétail, si exaspérantes, si exaspérées, et si, et si, et si…
C’est pour tous ces « si » que sont sorties ces têtes qui n’en font qu’une, une seule qui brait de rage ou qui, morne et gelée, considère le destin.
Devant moi comme si elles n’étaient pas à moi…
Sorties de l’obsession, de l’abdomen de la mémoire, de mon tréfonds, du tréfonds d’une enfance qui n’a pas eu son compte et que trois siècles de vie maintenant ne rassasieraient pas, tant il en faudrait, tant il en faudrait.
Nées les jours de pluie et sous les plafonds bas et du piétinement des besognes à faire qui ne seront jamais faites, et du pressentiment d’un avenir d’emmerdeurs qui approche et de minus habens têtus.
Venues des organes mal endormis d’un corps chargé de poison, de faim, de torpeur, de reliquats et des artères en tuyau de pipe de mes ancêtres.
Cabossées par l’amertume et les coups de l’humiliation, ou misérable fanal de ma volonté d’opposition.
Devant moi, non à moi peut-être…
Arrivant de loin, S.O.S. lancés dans l’espace par des milliers de malheureux en détresse, hurlant, geignant, criant désespérément vers nous tous tellement sourds; formant sans profit la grande famille des souffrants.
Devant moi, sans le savoir…
Portées sans trêve par les vagues infimes du vivant rayonnement des êtres qui se débattent. Leurs peines, leurs grimaces, leurs angoisses aussitôt, partout télévisées…
Devant moi…
Abordant tumultueusement dans ma chambre solitaire.
Devant moi, en grand silence, qui peine ou m’épouvante et lutte sourdement pour mon autonomie.

p.247-248
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LECTURE *
(1950)

II
Des arbres affairés cherchent
leurs branches qui s'arrachent
qui éclatent
et tombent
des arbres affolés
traqués
des arbres comme des systèmes nerveux ensanglantés

Mais pas d'être humain dans ce drame.

L'homme modeste ne dit pas « Je suis malheureux »
L'homme modeste ne dit pas « Nous souffrons
Les nôtres meurent
Le peuple est sans abri »
Il dit : « Nos arbres souffrent. »

p.320
* D'une deuxième lithographie de Zao-Wou-Ki.
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UNE TÊTE SORT DU MUR

J'ai l'habitude, le soir, bien avant d'y être poussé par la fatigue, d'éteindre la lumière.
Après quelques minutes d'hésitation et de surprise, pendant lesquelles j'espère peut-être pouvoir m'adresser à un être, ou qu'un être viendra à moi, je vois une tête énorme de près de deux mètres de surface qui, aussitôt formée, fonce sur les obstacles qui la séparent du grand air.
D'entre les débris du mur troué par sa force, elle apparaît à l'extérieur (je la sens plus que je ne la vois) toute blessée elle-même et portant les traces d'un douloureux effort.
Elle vient avec l'obscurité, régulièrement depuis des mois.
Si je comprends bien, c'est ma solitude qui à présent me pèse, dont j'aspire subconsciemment à sortir, sans savoir encore comment, et que j'exprime de la sorte, y trouvant, surtout au plus fort des coups, une grande satisfaction.
Cette tête vit, naturellement. Elle possède sa vie.
Elle se jette ainsi des milliers de fois à travers plafonds et fenêtres, à toute vitesse et avec l'obstination d'une bielle.
Pauvre tête !
Mais pour sortir vraiment de la solitude on doit être moins violent, moins énervé, et ne pas avoir une âme à se contenter d'un spectacle.
Parfois, non seulement elle, mais moi-même, avec un corps fluide et dur que je me sens, bien différent du mien, infiniment plus mobile, souple et inattaquable, je fonce à mon tour avec impétuosité et sans répit, sur portes et murs. J'adore me lancer de plein fouet sur l'armoire à glace. Je frappe, je frappe, je frappe, j'éventre, j'ai des satisfactions surhumaines, je dépasse sans effort la rage et l'élan des grands carnivores et des oiseaux de proie, j'ai un emportement au-delà des comparaisons. Ensuite, pourtant, à la réflexion, je suis bien surpris, je suis de plus en plus surpris qu'après tant de coups, l'armoire à glace ne se soit pas encore fêlée, que le bois n'ait pas eu même un grincement.

p.204-205

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UNE VIE DE CHIEN

Je me couche toujours très tôt et fourbu, et cependant on ne relève aucun travail fatiguant dans ma journée.
Possible qu’on ne relève rien.
Mais moi, ce qui m’étonne, c’est que je puisse tenir bon jusqu’au soir, et que je ne sois pas obligé d’aller me coucher dès les quatre heures de l’après-midi.
Ce qui me fatigue ainsi, ce sont mes interventions continuelles.
J’ai déjà dit que dans la rue je me battais avec tout le monde ; je gifle l’un, je prends les seins aux femmes, et me servant de mon pied comme d’un tentacule, je mets la panique dans les voitures du Métropolitain.
Quant aux livres, ils me harassent par-dessus tout. Je ne laisse pas un mot dans son sens ni même dans sa forme.
Je l’attrape et, après quelques efforts, je le déracine et le détourne définitivement du troupeau de l’auteur.
Dans un chapitre vous avez tout de suite des milliers de phrases et il faut que je les sabote toutes. Cela m’est nécessaire.
Parfois, certains mots restent comme des tours. Je dois m’y prendre à plusieurs reprises et, déjà bien avant dans mes dévastations, tout à coup au détour d’une idée, je revois cette tour. Je ne l’avais donc pas assez abattue, je dois revenir en arrière et lui trouver son poison, et je passe ainsi un temps interminable.
Et le livre lu en entier, je me lamente, car je n’ai rien compris... naturellement. N’ai pu me grossir de rien. Je reste maigre et sec.
Je pensais, n’est-ce pas, que quand j’aurais tout détruit, j’aurais de l’équilibre. Possible. Mais cela tarde, cela tarde bien.

p.31-32
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UN TOUT PETIT CHEVAL

J’ai élevé chez moi un tout petit cheval. Il galope dans ma chambre. C’est ma distraction.
Au début, j’avais des inquiétudes. Je me demandais s’il grandirait. Mais ma patience a été récompensée. Il a maintenant plus de cinquante-trois centimètres et mange et digère une nourriture d’adulte.
La vraie difficulté vint du côté d’Hélène. Les femmes ne sont pas simples. Un rien de crottin les indispose. Ça les déséquilibre. Elles ne sont plus elles-mêmes.
« D’un si petit derrière, lui disais-je, bien peu de crottin peut sortir », mais elle… Enfin, tant pis, il n’est plus question d’elle à présent.
Ce qui m’inquiète, c’est autre chose, ce sont tout d’un coup, certains jours, les changements étranges de mon petit cheval. En moins d’une heure, voilà que sa tête enfle, enfle, son dos s’incurve, se gondole, s’effiloche et claque au vent qui entre par la fenêtre.
Oh ! Oh !
Je me demande s’il ne me trompe pas à se donner pour cheval ; car même petit, un cheval ne se déploie pas comme un pavillon, ne claque pas au vent fût-ce pour quelques instants seulement.
Je ne voudrais pas avoir été dupe, après tant de soins, après tant de nuits que j’ai passées à le veiller, le défendant des rats, des dangers toujours proches, et des fièvres du jeune âge.
Parfois, il se trouble de se voir si nain. Il s’effare. Ou en proie au rut, il fait par-dessus les chaises des bonds énormes et il se met à hennir, à hennir désespérément.
Les animaux femelles du voisinage dardent leur attention, les chiennes, les poules, les juments, les souris. Mais, c’est tout. « Non », décident-elles, chacune pour soi, collée à son instinct. Non, ce n’est pas à moi de répondre. » Et jusqu’à présent aucune femelle n’a répondu.
Mon petit cheval me regarde avec de la détresse, avec de la fureur dans ses deux yeux.
Mais, qui est en faute ? Est-ce moi ?

p.206-207


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autrefois, j'avais trop le respect de la nature. Je me mettais devant les choses et les paysages et je les laissais faire.
Fini, maintenant j'inteviendrai.
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