AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070324385
208 pages
Gallimard (03/06/1987)
4.06/5   268 notes
Résumé :
"Tout à coup, le carreau dans la chambre paisible montre une tache. L'édredon à ce moment a un cri, un cri et un sursaut; ensuite le sang coule. Les draps s'humectent, tout se mouille. L'armoire s'ouvre violemment ; un mort en sort et s'abat. Certes, cela n'est pas réjouissant. Mais c'est un plaisir que de frapper une belette. Bien, ensuite il faut la clouer sur un piano. Il le faut absolument. Après on s'en va. On peut aussi la clouer sur un vase. Mais c'est diffic... >Voir plus
Que lire après La Nuit remueVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Une poésie ou une teinte de surréalisme se mélange à la réalité nue de la vie. Une gouache de couleurs et ces couleurs sont à notre appréciation. Si on préfère le noir, il dominera ; si on préfère le rouge, le jaune ou l'indigo, notre oeil les percevra en premier. Une ironie douce (mais est-ce vraiment cela ?) parcoure certaines lignes. Ou un humour un peu froid, un peu noir ? J'ai laissé Henri Michaux de côté pendant longtemps. Je m'étais trop ennuyée à l'étudier. Mais je me suis toujours méfiée de mes ennuis pédagogiques.... J'ai redécouvert Henri Michaux, comme on se remet d'une indigestion après une diète salutaire. Un petit morceau de temps en temps comme toujours en poésie, on savoure lentement pour s'imprégner du goût et qu'il reste dans notre mémoire sensitive....
Commenter  J’apprécie          410
Un recueil que j'ai préféré aux précédents mais que j'ai quand même lu en diagonale. Avec Henri Michaux j'ai trop de mal! Sa poésie est trop abstraite, trop hermétique pour moi. Dans ce domaine je reste une lectrice d'un grand classicisme. Henri Michaux est un poète pour public averti, pour lecteurs au dessus de la mêlée, pour intellectuels très fins et avisés.
Commenter  J’apprécie          332
Face aux vers limpides de son grand ami Supervielle, la poésie d'Henri Michaux est une mer orageuse, dont les mouvements se confondent avec la nuit. Des vagues se dressent « contre » les voyages ordinaires. Elles nous font sortir de notre zone de confort. Elles dérangent. Michaux se complaît dans une obscurité capable de rendre incertaines les limites de l'identité.

Dès les premiers poèmes, c'est un vortex, une chute sans fond dans l'espace intérieur, réminiscent des peurs qui surgissent au moment de se coucher, quand on éteint la lumière : « Le gouffre, la nuit, la terreur s'unissent de plus en plus indissolublement. »

Loin de reculer face au gouffre des cauchemars, Michaux y plonge sans relâche pour y puiser son inspiration. Il essaie du moins, car l'instinct de survie n'est pas facile à contrecarrer. Il se heurte à la tyrannie de sa conscience, son ego, son « Roi » qu'il torture avec un enthousiasme désespéré. « Et c'est mon Roi, que j'étrangle vainement depuis si longtemps dans le secret de ma petite chambre ; sa face d'abord bleuie, après peu de temps redevient naturelle, et sa tête se relève, chaque nuit, chaque nuit. »

Les institutions monarchiques sont tenaces. Parmi elles, on trouve les normes du langage, de l'écriture, coupables de diluer l'imagination la plus tempétueuse pour la changer en « gouttes peu nombreuses qui tombent graves et désolées dans le silence. » La révolution contre le Roi passe par un éclatement de la langue, y compris dans son sens organique. Michaux n'hésite pas à se faire violence. Son corps se disloque, se fragmente à travers les aperçus qu'en donnent une multitude de courts textes. Ce processus est particulièrement prégnant dans la partie du recueil intitulée « Mes propriétés », où Michaux s'observe avec une intensité fiévreuse et note les résultats au jour le jour. Un monde imaginaire en ressort. Sa faune et sa flore sont abondamment décrits, en des hypotyposes délirantes d'insectes cristallins et de mangroves.

Michaux cherche à capter ces fragments pour affiner sa connaissance de l'être et dresser la carte d'altérité d'un sujet dix-formes (sinon plus), livré à la métamorphose d'un voyage imaginaire qu'il souhaiterait permanent. Son identité se définit par les espaces qu'il parcourt sans limite physique, en constante métamorphose... et par la tension entre ces voyages poétiques et le réel :

« L'âme adore nager.
Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va en nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes, c'est ce que j'établirai plus tard.)
On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.
Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.
L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle à lui, et si ce fil se rompait (il est parfois très ténu, mais c'est une force effroyable qu'il faudrait pour rompre le fil), ce serait terrible pour eux (pour elle et pour lui).
Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l'homme à l'âme s'écoulent des volumes et des volumes d'une sorte de matière spirituelle, comme de la boue, comme du mercure, ou comme un gaz — jouissance sans fin.
C'est pourquoi le paresseux est indécrottable. Il ne changera jamais. C'est pourquoi aussi la paresse est la mère de tous les vices. Car qu'est-ce qui est plus égoïste que la paresse?
Elle a des fondements que l'orgueil n'a pas.
Mais les gens s'acharnent sur les paresseux.
Tandis qu'ils sont couchés, on les frappe, on leur jette de l'eau fraîche sur la tête, ils doivent vivement ramener leur âme.
Ils vous regardent alors avec ce regard de haine, que l'on connaît bien, et qui se voit surtout chez les enfants. »
Commenter  J’apprécie          124
Ce recueil a été publié en 1935. C'est sans doute son premier grand recueil. le titre, comme souvent dans l'oeuvre de Michaux, est déjà tout un programme : qu'est-ce à dire ? La Nuit remue évoque cette étape éphémère, cette frontière fragile entre sommeil et veille, entre néant et existence mais aussi cette frontière fragile et mouvante entre la paix sereine des certitudes diurnes et l'angoisse des cauchemars nocturnes. Tel un funambule, Michaux se promène sur ce fil étroit du réel et du rêvé, du clair et du sombre, de l"angoissant et du rassurant et pour cela, il renouvelle sans cesse les rythmes et les formes et fascine ses lecteurs comme sous l'effet d'une magie.
Voici un choix de quelques poèmes, puisqu'il faut bien choisir, qui devraient convaincre bien mieux que mes paroles :





P 9 "La nuit remue" I
« Tout à coup, le carreau dans la chambre paisible montre une tache. L'édredon à ce moment a un cri, un cri et un sursaut ; ensuite le sang coule. Les draps s'humectent, tout se mouille. L'armoire s'ouvre violemment ; un mort en sort et s'abat. Certes, cela n'est pas réjouissant. Mais c'est un plaisir que de frapper une belette. Bien, ensuite il faut la clouer sur un piano. Il le faut absolument. Après on s'en va. On peut aussi la clouer sur un vase. Mais c'est difficile. le vase n'y résiste pas. C'est difficile. C'est dommage. Un battant accable l'autre et ne le lâche plus. La porte de l'armoire s'est refermée. On s'enfuit alors, on est des milliers à s'enfuir. de tous côtés, à la nage ; on était donc si nombreux ! Étoile de corps blancs, qui toujours rayonne, rayonne... »

p 30 "Un point, c'est tout"
" L'homme _son être essentiel_ n'est qu'un point. C'est le seul point que la Mort avale. Il doit donc veiller à ne pas être encerclé.
Un jour, en rêve, je fus entouré de quatre chiens, et d'un petit garçon méchant qui les commandait.
Le mal, la difficulté inouïe que j'eus à le frapper, je m'en souviendrai toujours. Quel effort ! Sûrement, je touchai des êtres, mais qui ? En tous cas mes adversaires furent défaits au point de disparaître. Je ne me suis pas laissé tromper par leur apparence, croyez-le ; eux non plus n'étaient que des points, cinq points, mais très forts.[....]"

p 79 "Contre !"
" Je vous construirai une ville avec des loques, moi.
Je vous construirai sans plan et sans ciment un édifice que vous ne détruirez pas
Et qu'une espèce d'évidence écumante soutiendra et gonflera,
Qui viendra vous braire au nez, et au nez gelé
De tous vos Parthénons, vos Arts Arabes et de vos Mings.
Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard et du son de peaux de tambours
Je vous assoirai des forteresses écrasantes et superbes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquels votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussières de sable sans raisons.
Glas ! Glas ! Glas ! Sur vous tous! Néant sur les vivants!
Oui! Je crois en Dieu ! Certes, il n'en sait rien.
Foi, semelle inusable pour qui n'avance pas.
Ô monde, monde étranglé, ventre froid !
Même pas symbole, mais néant , je contre, je contre,
Je contre, et te gave de chiens crevés !
En tonnes, vous m'entendez, en tonnes je vous arracherai

http://poezibao.typepad.com/poezibao/images/michaux_montage_copie_basse_def_1.jpg
Ce que vous m'avez refusé en grammes!

Le venin du serpent est son fidèle compagnon.
Fidèle et il l'estime à sa juste valeur.
Frères, mes Frères damnés, suivez moi avec confiance;
Les dents du loup ne lâchent pas le loup.
C'est la chair du mouton qui lâche.

Dans le noir, nous verrons clair, mes frères!
Dans le labyrinthe, nous trouverons la voie droite!
Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes !
Comme je vais t'écarteler ! "

Et l'un de mes préférés, dans le même recueil mais dans la section Mes Propriétés,
p 143, "Intervention"
"Autrefois, j'avais trop le respect de la nature. Je me mettais devant les choses et les paysages et je les laissais faire.

Fini, maintenant j'interviendrai

J'étais donc à Honfleur et je m'y ennuyais.

Alors résolument, j'y mis du chameau. Cela ne paraît pas fort indiqué. N'importe, c'était mon idée. D'ailleurs, je la mis à exécution avec la plus grande prudence. Je les introduisis d'abord les jours de grande affluence, le samedi sur la place du Marche'. L'encombrement devint indescriptible et les touristes disaient : " Ah ! ce que ça pue ! Sont-ils sales les gens d'ici ! " L'odeur gagna le port et se mit à terrasser celle de la crevette. On sortait de la foule plein de poussières et de poils d'on ne savait quoi.

Et la nuit, il fallait entendre les coups de pattes des chameaux quand ils essayaient de franchir les écluses , gong ! gong ! sur le métal et les madriers !

L'envahissement par les chameaux se fit avec suite et sûreté.

On commençait à voir les Honfleurais loucher à chaque instant avec ce regard soupçonneux spécial aux chameliers, quand ils inspectent leur caravane pour voir si rien ne manque et si on peut continuer à faire route ; mais je dus quitter Honfleur le quatrième jour.

J'avais lancé également un train de voyageurs. Il partait à toute allure de la Grand-Place, et résolument s'avançait sur la mer sans s'inquiéter de la lourdeur du matériel ; il filait en avant, sauvé par la foi.

Dommage que j'aie dû m'en aller, mais je doute fort que le calme renaisse tout de suite en cette petite ville de pêcheurs de crevettes et de moules."
Lien : http://aller-plus-loin.over-..
Commenter  J’apprécie          50
Déjà j'aime le titre. Evocateur de ces bruissements que, seule, peut nous offrir la nuit. J'aime cette poésie parfois déjantée, souvent onirique, ce qui nous ramène au monde de la nuit. Une oeuvre de premier plan de ce poète, à mon estime.
Commenter  J’apprécie          120

Citations et extraits (124) Voir plus Ajouter une citation
Tout à coup, le carreau dans la chambre paisible montre une tache.

L'édredon à ce moment a un cri, un cri et un sursaut; ensuite le sang coule.
Les draps s'humectent, tout se mouille.

L'armoire s'ouvre violemment; un mort en sort et s'abat.
Certes, cela n'est pas réjouissant.

Mais c'est un plaisir que de frapper une belette.
Bien, ensuite il faut la clouer sur un piano.
Il le faut absolument.
Après on s'en va.
On peut aussi la clouer sur un vase.
Mais c'est difficile.
Le vase n'y résiste pas.
C'est difficile.
C'est dommage.

Un battant accable l'autre et ne le lâche plus.
La porte de l'armoire s'est refermée.

On s'enfuit alors, on est des milliers à s'enfuir.
De tous côtés, à la nage; on était donc si nombreux!

Étoile de corps blancs, qui toujours rayonne, rayonne...

2

Sous le plafond bas de ma petite chambre, est ma nuit, gouffre profond.

Précipité constamment à des milliers de mètres de profondeur, avec un abîme plusieurs fois aussi immense sous moi, je me retiens avec la plus grande difficulté aux
aspérités, fourbu, machinal, sans contrôle, hésitant entre le dégoût et l'opiniâtreté; l'ascension-fourmi se poursuit avec une lenteur
interminable.
Les aspérités de plus en plus infimes, se lisent à peine sur la paroi perpendiculaire.
Le gouffre, la nuit, la terreur s'unissent de plus en plus indissolublement.

3

Déjà dans l'escalier elle commença à n'être plus bien grande.
Enfin arrivée au 3me, au moment de franchir le seuil de ma chambre, elle n'était guère plus haute qu'une perdrix.
Non, non, alors je n'y tiens pas.
Une femme, bien! pas une perdrix.
Elle savait bien pourquoi je l'avais appelée.
Ce n'était pas pour... enfin!

Dans ce cas, pourquoi s'obstiner en dépit de toute raison, et me retenir sauvagement par le pantalon?

Le dernier coup de pied que je lui ai envoyé l'a fait tomber jusqu'à la loge de la concierge.

Certes, je ne voulais pas cela.
Elle m'y a forcé, je peux le dire.
Je crois bien que je puis le dire.

Et maintenant, au bas de l'escalier, ses petits gémissements, gémissements, gémissements, comme font tous les êtres malfaisants.

4

...
Elles apparurent, s'exfoliant doucement des solives du plafond...
Une goutte apparut, grosse comme un œuf d'huile et lourdement tomba, une goutte tomba, ventre énorme, sur le plancher.

Une nouvelle goutte se forma, matrice luisante quoique obscure, et tomba.
C'était une femme.

Elle fit des efforts extravagants et sans nul doute horriblement pénibles, et n'arriva à rien.

Une troisième goutte se forma, grossit, tomba.
La femme qui s'y forma, instantanément aplatie, fit cependant un tel effort... qu'elle se retourna.

D'un coup.
Puis tout mouvement cessa.

Longues étaient ses jambes, longues.
Elle eût fait une danseuse.

De nouveau une goutte se forma et grossit, tumeur terrible d'une vie trop promptement formée, et tomba.

Les corps allaient s'amoncelant, crêpes vivantes, bien humaines pourtant sauf l'aplatissement.

Puis les gouttes ne coulèrent plus.
Je m'étendis près d'un tas de petites femmes, la stupeur dans l'esprit, navré, ne songeant ni à elles ni à moi, mais à l'amère vie quotidienne.

5

Nous sommes toujours trois dans cette galère.
Deux pour tenir la conversation et moi pour ramer.

Qu'il est dur le pain quotidien, dur à gagner et dur à se faire payer!

Ces deux bavards sont toute ma distraction, mais c'est tout de même dur de les voir manger mon pain.

Ils parlent tout le temps.
S'ils ne parlaient pas tout le temps, certes l'immensité de l'océan et le bruit des tempêtes, disent-ils, viendraient à bout de mon courage et de mes forces.

Faire avancer à soi tout seul un bateau, avec une paire de rames, ce n'est pas commode.
L'eau a beau n'offrir que peu de résistance...
Elle en offre, allez.
Elle en offre, il y a des jours surtout...

Ah! comme j'abandonnerais volontiers mes rames.

Mais ils y ont l'œil, n'ayant que ça à faire, et à bavarder et à manger mon pain, ma petite ration dix fois rognée déjà.

6

Mes petites poulettes, vous pouvez dire tout ce que vous voulez, ce n'est pas moi qui m'embête.
Hier encore, j'arrachai un bras à un agent.
C'était peut-être un bras galonné de brigadier.
Je n'en suis pas sûr.
Je l'arrachai vivement, et le rejetai de même.

Mes draps jamais pour ainsi dire ne sont blancs.
Heureusement que le sang sèche vite.
Comment dormirais-je sinon?

Mes bras égarés plongent de tous côtés dans des ventres, dans des poitrines; dans les organes qu'on dit secrets (secrets pour quelques-uns!).

Mes bras rapportent toujours, mes bons bras ivres.
Je ne sais pas toujours quoi, un morceau de foie, des pièces de poumons, je confonds tout, pourvu que ce soit chaud, humide et plein de sang.

Dans le fond ce que j'aimerais, c'est de trouver de la rosée, très douce, bien apaisante.

Un bras blanc, frais, soigneusement recouvert d'une peau satinée, ce n'est pas si mal.
Mais mes ongles, mes dents, mon insatiable curiosité, le peu que je puis m'accoutumer du superficiel...
Enfin, c'est comme ça.
Tel partit pour un baiser qui rapporta une tête.

Priez pour lui, il enrage pour vous.
Commenter  J’apprécie          120
MON ROI

Dans ma nuit, j'assiège mon Roi, je me lève progressivement et je lui tords le cou.
Il reprend des forces, je reviens sur lui, et lui tords le cou une fois de plus.
Je le secoue, et le secoue comme un vieux prunier, et sa couronne tremble sur sa tête.
Et pourtant, c'est mon Roi, je le sais et il le sait, et c'est bien sûr que je suis à son service.
Cependant dans la nuit, la passion de mes mains l'étrangle sans répit. Point de lâcheté pourtant, j'arrive les mains nues et je serre son cou de Roi.
Et c'est mon Roi, que j'étrangle vainement depuis si longtemps dans les secret de ma petite chambre ; sa face d'abord bleuie, après peu de temps redevient naturelle, et sa tête se relève, chaque nuit, chaque nuit.
Dans le secret de ma petite chambre, je pète à la figure de mon Roi. Ensuite j'éclate de rire. Il essaie de montrer un front serein, et lavé de toute injure. Mais je lui pète sans discontinuer à la figure, sauf pour me retourner vers lui et éclater de rire à sa noble face, qui essaie de garder de la majesté.
C'est ainsi que je me conduis avec lui ; commencement sans fin de ma vie obscure.
Et maintenant je le renverse par terre, et m'assied sur sa figure. Son auguste figure disparaît ; mon pantalon rude aux tâches d'huile, et mon derrière ― puisque enfin c'est son nom ― se tiennent sans embarras sur cette face faite pour régner.
Et je ne me gêne pas, ah non, pour me tourner à gauche et à droite, quand il me plaît et plus même, sans m'occuper de ses yeux ou de son nez qui pourrait être dans le chemin. Je ne m'en vais qu'une fois lassé d'être assis.
Et si je me retourne, sa face imperturbable règne, toujours.
Je le gifle, je le gifle, je le mouche ensuite par dérision comme un enfant.
Cependant il est bien évident que c'est lui le Roi, et moi son sujet, son unique sujet.
À coups de pied dans le cul, je le chasse de ma chambre. je le couvre de déchets de cuisine et d'ordures. Je lui casse la vaisselle dans les jambes. Je lui bourre les oreille de basses et pertinentes injures, pour bien l'atteindre à la fois profondément et honteusement, de calomnies à la Napolitaine particulièrement crasseuses et circonstanciées, et dont le seul énoncé est une souillure dont on ne peut plus se défaire, habit ignoble fait sur mesure : le purin vraiment de l'existence.
Eh bien il me faut recommencer le lendemain.
Il est revenu ; il est là. Il est toujours là. Il ne peut pas déguerpir pour de bon. Il doit m'imposer sa maudite présence royale dans ma chambre déjà si petite.
...
p.14-15-16
Commenter  J’apprécie          110
Mes occupations

Je peux rarement voir quelqu'un sans le battre. D'autres préfèrent le monologue intérieur. Moi, non. J'aime mieux battre.
Il y a des gens qui s'assoient en face de moi au restaurant et ne disent rien, ils restent un certain temps, car ils ont décidé de manger.
En voici un.
Je te l'agrippe, toc.
Je te le ragrippe,, toc.
Je le pends au porte-manteau.
Je le décroche.
Je le repends.
Je le redécroche.
Je le mets sur la table, je le tasse et l'étouffe.
Je le salis, je l'inonde.
Il revit.
Je le rince, je l'étire (je commence à m'énerver, il faut en finir), je le masse, je le serre, je le résume et l'introduis dans mon verre, et jette ostensiblement le contenu par terre, et dis au garçon : "mettez-moi donc un verre plus propre".
Mais je me sens mal, je règle promptement l'addition et je m'en vais.
Commenter  J’apprécie          300
MON ROI

…Partout où il va, il s'installe.
Et personne ne s'étonne, il semble que sa place était là depuis toujours.
On attend, on ne dit mot, on attend que Lui décide.
Dans ma petite chambre viennent et passent les animaux. Pas en même temps. Pas intacts. Mais ils passent, cortège mesquin et dérisoire des formes de la nature. Le lion y entre la tête basse, pochée, cabossée comme un vieux paquet de hardes. Ses pauvres pattes flottent. Il progresse on ne sait comment, mais en tout cas comme un malheureux.
L'éléphant entre dégonflé et moins solide qu'un faon.
Ainsi du reste des animaux.
Aucun appareil. Aucune machine. L'automobile y entre strictement laminée et ferait à la rigueur un parquet.
Telle est ma petite chambre où mon inflexible Roi ne veut rien, rien qu'il n'ait malmené, confondu, réduit à rien, où moi cependant j'ai appelé tant d'êtres à devenir mes compagnons.
Même le rhinocéros, cette brute qui ne peut sentir l'homme, qui fonce sur tout (et si solide taillé en roc), le rhinocéros lui-même un jour, entra en brouillard presque impalpable, évasif et sans résistance... et flotta.
Cent fois plus fort que lui était le petit rideau de la lucarne, cent fois plus, que lui, le fort et l'impétueux rhinocéros qui ne recule devant rien. Que lui mon grand espoir.
Je lui avais sacrifié ma vie d'avance. J'étais prêt.
Mais mon Roi ne veut pas que les rhinocéros entrent autrement que faibles et dégoulinants.
Une autre fois peut-être lui permettra-t-il de circuler avec des béquilles... et, pour le circonscrire, un semblant de peau, une mince peau d'enfant qu'un grain de sable écorchera.
C'est comme cela que mon Roi autorise les animaux à passer devant nous. Comme cela seulement.
Il règne ; il m'a ; il ne tient pas aux distractions….

p.17-18
Commenter  J’apprécie          110
PROJECTION

Cela se passait sur la jetée d'Honfleur, le ciel était pur. On voyait très clairement le phare du Havre. Je restai là en tout bien dix heures. A midi, j'allai déjeuner, mais je revins aussitôt après.
Quelques barques s'en furent aux moules à la marée basse, je reconnus un patron pêcheur avec qui j'étais déjà sorti et je fis encore quelques autres remarques. Mais en somme, relativement au temps que j'y passai, j'en fis excessivement peu.
Et tout d'un coup vers huit heures, je m'aperçus que tout ce spectacle que j'avais contemplé pendant cette journée, ça avait été seulement une émanation de mon esprit. Et j'en fus fort satisfait, car justement je m'étais reproché un peu avant de passer mes journées à ne rien faire.
Je fus donc content et puisque c'était seulement un spectacle venu de moi, cet horizon qui m'obsédait, je m'apprêtai à le rentrer. Mais il faisait fort chaud et sans doute j'étais fort affaibli, car je n'arrivai à rien. L'horizon ne diminuait pas et, loin de s'obscurcir, il avait une apparence peut-être plus lumineuse qu'auparavant.
Je marchais, je marchais.
Et quand les gens me saluaient, je les regardais avec égarement tout en me disant : « Il faudrait pourtant le rentrer cet horizon, ça va encore empoisonner ma vie, cette histoire-là », et ainsi arrivai-je pour dîner à l'hôtel d'Angleterre et là il fut bien évident que j'étais réellement à Honfleur, mais cela n'arrangeait rien.
Peu importait le passé. Le soir était venu, et pourtant l'horizon était toujours là identique à ce qu'il s'était montré aujourd'hui pendant des heures.
Au milieu de la nuit, il a disparu tout d'un coup, faisant si subitement place au néant que je le regrettai presque.

(extrait de "Mes propriétés") -Pp. 141-142
Commenter  J’apprécie          100

Videos de Henri Michaux (48) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Henri Michaux
Sacha Guitry, Victor Hugo, Henri Michaux, Raymond Devos... Tous ces noms furent les auteurs de textes illustres, qu'André Dussollier convoque et ressuscite sur la scène des Bouffes parisiens depuis le 18 janvier. Rencontre avec cet acteur à trois césars et récompensé du Molière du comédien.
#theatre #cinema #andredussollier __________ Venez participer au Book club, on vous attend par ici https://www.instagram.com/bookclubculture_ Et sur les réseaux sociaux avec le hashtag #bookclubculture
Retrouvez votre rendez-vous littéraire quotidien https://youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDrqL4fBA4¤££¤9Henri Michaux20¤££¤ ou sur le site https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/bienvenue-au-book-club-part-2
Suivez France Culture sur : Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture Twitter : https://twitter.com/franceculture Instagram : https://www.instagram.com/franceculture TikTok : https://www.tiktok.com/@franceculture Twitch : https://www.twitch.tv/franceculture
+ Lire la suite
autres livres classés : poésieVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (937) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1227 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..