Ma prairie, ce n'est point la pelouse uniforme, le gazon tondu ras du parc anglais où la petite herbe, incessamment coupée et réprimée, n'aura jamais l'amour, le court bonheur, l'instant qu'a l'éphémère.
Aimable monde de mutualité, d'hospitalité fraternelle. Sous les mousses, les herbes, les plantes et les buissons, un même esprit circule de sociabilité facile, de tolérance et de douceur. De la prairie à la forêt, de la forêt à la montagne, on le respire, on monte dans la paix vers un monde serein, moins riche en apparence, mais où l'on trouvera des puissances inconnues de vie.
Noir est le tigre aussi, ce destructeur terrible qui, en 1830 encore, mangeait par année trois cents hommes.
Nombre d'animaux noirs accordent leur couleur avec le noir basalte qui porte les montagnes.
La Terre a-t-elle un coeur? un tout-puissant organe, où ses énergies se révèlent, où elle aspire, respire, palpite de ses transformations?
La puissance animale résiste à la rigueur. Des amphibies, des phoques, cuirassés de leur graisse, l'oiseau, ce foyer de chaleur, le plus brûlant de la nature, subsistent dans les glaces.
Ce monde fantastique et terrible semble porter le joug fatal, invariable, d'une seule loi, la cristallisation. Loi dure des formes rectilignes, des angles et des pointes, qui menacent, proscrivent les formes adoucies de la vie.
Ces vierges de lumière qui nous donnent le jour quand le ciel même est sombre encore dans son azur d'acier, elles ne réjouissent pas seulement les yeux fatigués d'insomnie; elles avivent le coeur, lui parlent d'espérances, de foi dans la justice, le retrempent de force virile et de jeune résolution.
Même aux lieux les plus désolés où la nature semble finie, aux sombres entours des glaciers, vous retrouvez la lumière dans ces petits lacs solitaires qu'on voit avec saisissement.
Les lacs sont les yeux de la Suisse dont l'azur lui double le ciel.