L'absence diminue les médiocres passions et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu.
Ici, la Bête est un fonds de commerce. Elle est historique, ancestrale, touristique. Elle fait vendre des livres, des contrats, des paysages, des nuitées de camping, de la charcuterie, des circuits de randonnée. La Bête est un label.
Cette cloche, c'est une cloche qui existe plus depuis mille ans et qui sonne quand même. Elle sonnait quand c'était la guerre avec les protestants. Elle sonnait à la Révolution quand on coupait la tête à un curé. C'est chaque fois qu'il vient un malheur pour le Gévaudan.
Comme tout le monde, j'aime les histoires qui font peur. Mais je les préfère sans cinéma, sans effets tonitruants. Je ne crois pas aux monstres dotés de super-pouvoirs. Je crois à de simples présences dans la nuit. Les monstres sont des êtres insaisissables, mais élémentaires. La vraie peur s'enracine dans des rencontres réelles et des faits. Des faits véritables du vrai passé.
- Les pattes de devant, ajoute le prof de Montpellier, étaient plus courtes que celles de derrière. De nombreux témoignages de gens attaqués le confirment. Mais ces gens n’ont-ils pas été conditionnés ?
- De l’avis des chasseurs, on n’a jamais vu aux loups pareilles couleurs. La couleur de chevreuil. Les côtes aussi ont attiré l’attention. Elles donnaient à l’animal la liberté de se retourner aisément…
Ses feuillets à la main, le conservateur remonte lentement l’allée. C’est mortifiant, mais c’est ainsi. L’histoire officielle de la Bête s’achève sur cette description contradictoire et décevante. C’était un loup, mais ce n’en était pas un.