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Critique de Erik35


JOUR-J...

... Il suffit d'écrire ou de prononcer ces cinq lettres pour que tout un chacun - ou peu s'en faut - sache au moins grossièrement de quoi il retourne : le fameux débarquement alliés sur les plages de la Manche et du Calvados une certaine nuit de très mauvais temps du 5 au 6 Juin 1944. Cette opération aussi spectaculaire que monstrueuse - en terme d'hommes engagés, de moyens matériels, d'heures passées à la planifier, etc - c'est OVERLORD. Ces plages, partant des hauteurs de Quinéville dans le Cotentin jusqu'au plaine marécageuses (et inondées par les allemands) de l'embouchure de l'Orne, ce sont les désormais célèbres UTAH, OMAHA, GOLD JUNO et SWORD Beaches, rebaptisées pour la cause.

C'était il y a (bientôt) soixante-quinze ans tout juste.

Giles Milton, journaliste et écrivain d'origine britannique, «spécialiste de l'histoire des voyages et de l'exploration» nous résume sa bio wikipedia, songeait depuis plusieurs années déjà à rendre hommage aux acteurs directs de ce fameux jour interminable. Voilà qui est chose faite avec cet ouvrage intitulé D-Day : Les soldats du débarquement pour lequel il nous faut remercier vivement l'excellente petite maison d'édition suisse Noir sur Blanc ainsi que notre site bibliophile préféré, Babelio, pour cette Masse Critique spéciale : l'ouvrage se lit, se dévore même, plutôt plaisamment, comme une sorte de "roman vrai" du Jour-J, et il n'a pas été sans nous rappeler une lecture aujourd'hui un peu lointaine dans notre souvenir, le fameux "Le jour le plus long" écrit par Cornelius Ryan, publié en 1959 et qui demeure, par bien des aspects, une source tout à fait précieuse de témoignage directs (contrairement au film qui en fut tiré qui, s'il remporta un succès mondial, n'en demeure pas moins truffé d'erreurs, de contre-vérité historiques, etc. Mais il s'agissait alors de mettre en avant les grandes stars hollywoodiennes de l'époque plutôt que de réaliser un film sérieux !). Les deux ouvrages ont d'ailleurs plusieurs points communs : leurs rédacteurs ne sont pas des historiens, a proprement parler, mais l'un comme l'autres sont bel et bien des journalistes qui savent avant tout rédiger des histoires, mettre en scène des témoignages. Parfois au mépris d'un certain recul, d'une certaine confrontation de leurs sources. L'un comme l'autre se basent en grande partie sur les témoignages directs (un peu plus indirects pour le second, du fait même de la disparition au fil des années de la plupart des survivants), bien plus que sur les sources écrites (ce qui était logique pour le premier, nombre de documents étant alors encore classés), l'un comme l'autre donnent la parole au "soldat de base", et c'est même encore plus flagrant et quasi exclusif dans ce texte de Giles Milton qui apparaît parfois comme une espèce de revanche des petits, des sans grades (et cette fois, au propre encore plus qu'au figuré), les remarques personnelles de l'auteur, et plus qu'amènes en direction de ces chefs donnant des ordres du lointain de leurs QG, y foisonnent (même ceux sur le terrain en prennent bien souvent pour leur grade, jeu de mot compris)... Enfin, l'un comme l'autre ont essayé de donner une sorte de panorama complet, total, omniscient de ces 24 heures d'une densité, d'une puissance quasiment invraisemblable et indicible, tant ce débarquement parvint à réunir de superlatifs : le plus grand débarquement de tous les temps, la plus grande armada jamais réunie en un endroit, l'une des plus grandes opérations aéroportée jamais menée, 156 000 hommes débarqués en 24h, plus de 200 000 véhicules transbordés... Au nombre des victimes de cet assaut faramineux (les chiffres donnés par Giles Milton dans son épilogue sont, de ce point de vue, sujets à caution, même s'il semble qu'aujourd'hui encore aucun spécialiste ne parvienne vraiment à s'entendre sur aucun d'eux, sauf, sans doute, sur les pertes du côté troupes alliées) environ 10 000 soldats alliés, potentiellement autant de soldats allemands (les fourchettes de l'horreur varient entre 6 000 et 9/10 000) mais, chiffre méconnu (et très minimisé de l'auteur), nombre de spécialistes estiment les morts et disparitions de civils français ce jour là aussi important que l'ensemble des soldats tombés d'un côté ou de l'autre ! (Giles Milton sous-estime dangereusement ce chiffre, certes complexe à évaluer puisqu'il donne malgré tout celui, déjà important, de 3 000 enfants, femmes et hommes morts ce jour-là sous les bombes).
Pourquoi de telles macabres comptabilités ? En aucun cas par goût du sang : le sang versé par ces hommes et femmes d'hier mérite, avant toute autre considération, notre respect le plus définitif, à tout le moins notre commisération - impossible d'oublier tout à fait que parmi ces morts innombrables, un tiers d'entre eux étaient dans "le mauvais camp". Qu'ils sont, ordres ou pas, co-responsables de la fin tragique de tous les autres -. En revanche, cela donne pour partie le genre d'ouvrage auquel l'auteur nous convie : ce n'est pas un "livre historique" que nous avons ici mais, l'auteur en donne lui-même la définition dans ses quelques pages de remerciements, ceci est une "enquête journalistique" réalisée grâce au soutien attentif d'archivistes du monde entier, lesquels ne sont pas eux-même exactement des historiens professionnels, même si d'aucuns jugulent très probablement les deux casquettes.

Ainsi, à la manière d'une - excellente, précisons-le définitivement - enquête journalistique, Giles Milton nous raconte "une" histoire du D-Day : intense, humaine, très liée aux témoignages des soldats les moins gradés (c'est surtout vrai côté alliés, beaucoup moins dans sa description du débarquement vu par les "boches" où il ), tâchant même de leur rendre honneur lorsque, selon lui, certaines archives ou vérités historiques "officielles" ont "oublié" des faits qui n'ont pas été, par la suite, attribués aux bonnes personnes. Ainsi de la ville de Bayeux qui aurait été "prise" momentanément par le soldat Donald Gardner et la poignée de survivants de son commando 47 de la Royal Marine peu avant minuit au soir de ce 6 juin, alors que tous les ouvrages historiques l'attribuent au 2nd Battalion Gloucestershire Regiment, mais seulement le lendemain. Erreur historique, insupportable oubli, injustice à l'égard d'un de ces soldats sans grade et quasi anonyme de ce débarquement ? Peut-être. Quoi qu'il en soit, il est aussi historiquement admis que des éclaireurs de ce 2nd bataillon furent envoyés dans les faubourg de la ville dès la fin du 6 juin, sans qu'aucun de ces hommes n'aient jamais prétendu à la prise de la ville... Pénétrer dans une ville sous contrôle ennemi, c'est une chose absolument digne d'être mentionnée. La "prendre" répond à de toutes autres exigences, qui n'enlèvent rien à la bravoure des premiers qui méritent largement qu'on se souvienne d'eux. de ce strict point de vue-là, il semble que Bayeux ait bien été prise et libérée le 7 seulement. Ce sera d'ailleurs l'une des très rares villes n'ayant subit aucune destruction de toute la bataille de Normandie, contrairement à Caen pour ne citer qu'elle, la plus grande agglomération bas-normande, qui fut rasée à près de 70% !!!

Avec un art consommé du "storytelling" ainsi qu'un plan en béton armé qui permet de passer en revue les principales phases de cette journée tellement hors norme, de lui donner en quelque sorte une structure, de lui donner du sens, le journaliste britannique survole avec intelligence ce moment tout à la fois héroïque et tragique, incroyable et terrifiant, drôle parfois (par l'incongruité de certaines scènes), le plus souvent terrible de violence, de sang versé, de courage fou, de peur partagée - quel que soit le camp -. de morts. On pourra bien entendu reprocher à Giles Milton de faire, parfois, dans le sensationnalisme (cette journée ne le fut-elle pas, par bien des aspects ?), d'être assez modérément factuel, de ne presque pas développer les éléments politiques, économiques, stratégiques, - souvent antagonistes entre des alliés ne courant pas exactement après les mêmes buts -, de cette affaire puisqu'il consacre très peu de pages à la préparation en amont de cette bataille titanesque, d'être dans le sensible plutôt que dans le technicien. Ainsi, à quelques exceptions près, les descriptions des matériels utilisés sont elles réduites à l'expression la plus indispensable à son "enquête", sans fioriture ni comparatifs ni fiches techniques détaillées (ne serait-ce que reportées dans un cahier en fin d'ouvrage comme c'est souvent pratiqué en de telles matières). Idem des tactiques et stratégies militaires qui ne sont évoquées que lorsqu'elles servent à structurer la description des combats eux-mêmes. Il y a bien quelques cartes en introduction mais rien de plus que le minimum que l'on trouvera dans n'importe quel ouvrage didactique sur le sujet. On pourra aussi s'étonner de la parcimonie des témoignages de ces civils et militaires ayant permis, à l'arrière, que cette incroyable opération ait lieu (certes, c'est moins "héroïque" à conter mais ce fut ô combien indispensable. C'est sans doute aussi l'une des limites de cet ouvrage). Nul reproche définitif dans ces lignes : ce genre d'éléments participent d'un autre genre de documents, plus "historiens" et documentaires, sans doute, plus froids aussi, bien souvent. Ainsi, sans pouvoir prétendre être LE livre de référence sur le célèbre Jour-J, ce long et troublant texte du journaliste britannique sera un bon complément, dans sa version humaine, d'ouvrages de référence tels Jour J de Warren Tute, John Costello, Terry Hughes ou le Jour J heure par heure de Marc Laurenceau ou encore le très complet D-Day et la bataille de Normandie de l'historien anglais Anthony Beevor, les uns complétant les autres. Sans oublier, bien entendu, le célèbre texte de Cornelius Ryan. Quant à l'amateur plus pointu, il ne saura se satisfaire d'ouvrages aussi généralistes et préférera certainement la lecture de titres consacrés à tel ou tel aspect, tel moment, tel corps d'armée, tel développement de l'opération Overlord, et ces livres sont pléthore (il suffit pour s'en convaincre de visiter les librairies du musée du débarquement à Arromanches ou de l'émouvant Mémorial de Caen pour s'en convaincre).

Extrêmement lisible, suffisamment complet pour ne passer à côté d'aucun fait essentiel, ce D-Day : Les soldats du débarquement est tout à la fois un bel hommage à ces hommes ayant donné, pour beaucoup, leur vie, pour d'autre leur santé et leur intégrité physique afin de participer à l'annihilation de ce IIIème Reich qu'un certain Adolf Hitler avait pourtant annoncé millénaire, en ouvrant ce second front majeur à l'ouest, en complément de celui ouvert par les soviétiques à l'est. Une lecture forte à défaut d'être une lecture complète. En ce bientôt soixante-quinzième anniversaire de cette date fatidique, ce document est, à tout le moins, un émouvant et vibrant hommage qui est rendu à tous ces hommes et ces femmes auxquels nous devons collectivement et individuellement tant !
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