Citations sur La route de Beit Zera (16)
"C'était une tristesse profonde qui le prenait lorsque assis dans la cuisine il la regardait et se souvenait combien de fois sa respiration avait fini par bercer son désespoir et le rendre humain."
Ils étaient une centaine à attendre leur tour pour entrer dans Jaffa. Soudain un vieillard sortit de la file, s’avança, passa à côté de Stépan et Samuelson sans un regard, sans l’ombre d’une crainte, et s’éloigna. L’officier leva une main et posa l’autre sur son étui à révolver. Stépan et Samuelson, abandonnant les deux qu’ils fouillaient à ce moment-là, se redressèrent, fixèrent un moment le dos du vieillard qui s’en allait sans les craindre, puis éclatèrent de rire, et tous les Arabes qui attendaient leur tour éclatèrent eux aussi d’un rire si extraordinaire qu’il couvrit celui de Stépan et Samuelson.
Encore bas, le soleil commença à l'éblouir. Il baissa les yeux et songea :
"La nouvelle Zélande est trop loin aujourd'hui. Même en imagination. c'est maintenant que j'aurais besoin de toi, Yankel, pas pour le faire à ma place, mais pour me sentir moins seul."
Il fut pris soudain d'un désespoir sans fin, d'un sentiment de souffrance pire que le chagrin qui lui fit crier un son sauvage, mais muet. Le même qu'il devait crier des années plus tard, lorsque sous la véranda, après avoir demandé à Amghar, pourquoi il venait, son regard s'était posé, par malchance sur les nuages qui couraient en altitude, vers la terre lointaine et inaccessible.
C’est une tristesse profonde qui le prenait lorsque assis dans la cuisine il la regardait et se souvenait combien de fois sa respiration avait fini par bercer son désespoir et le rendre humain. (p. 140.)
Stépan l'écoutait et sa tête lui tournait, parce que ces mots qui lui entraient dans le coeur étaient les siens. C'étaient ses propres mots prononcés à voix haute qu'il entendait de la bouche même de son fils, tandis que l'ampoule au-dessus d'eux se balançait. (....) Yankel parlait bas, et ses mains toujours dans celles de son père étaient comme eux animaux peureux. Il murmurait, mais sa voix vibrait. Voilà ce qu'il murmurait et que Stépan savait déjà : il s'endormait chaque soir avec tous ceux qu'il avait arrêtés et fouillés, dans la rue, aux barrages. Il emportait dans son sommeil leurs regards indiciblement vides, dissimulant leur haine. Et au réveil il avait peur de tous ces hommes et les haïssait comme eux le haïssaient.
Octobre avait fini. Amghar vint trois ou quatre fois, ce mois-là.Il attendait devant la maison que Stépan et la chienne reviennent de la baraque en planches. La chienne trottait vers lui et ils allaient dans la forêt. A leur retour, Stépan lui demandait s'ils avaient trouvé l'eau entre les racines. Le garçon souriait ou non. Parfois il disait oui. Il allait ensuite s'asseoir sur les marches de la véranda, et la chienne se couchait à côté de lui.
"Et pour rien au monde il n'en aurait parlé à Yankel dans ses lettres. Ce ,'était pas un me,songe, ni un secret, c'était au-delà."
Le chagrin surgit d'un coup comme un orage. Il en fut si secoué qu'il se mordit la lèvre et contracta ses épaules comme s'il avait eu froid..."Dans son rêve, elle est en train de courir, et pendant ce temps-là, moi je me dis que je ne peux pas l'amener là-bas et la tuer sous la pluie"...
Stepan l'écoutait et sa tête lui tournait, parce que ces mots qui lui entraient dans le cœur étaient les siens. C'étaient ses propres mots jamais prononcés à haute voix qu'il entendait de la bouche même de son fils, tandis que l'ampoule au-dessus d'eux se balançait.