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Citations sur Suzanne ou le récit de la honte (5)

Comme il est bon alors de ne plus rien vouloir et d'être comme de l'eau qui coule, tout simplement, sur la pente d'un chemin… Et comme les choses soudain qui semblaient solennelles nous apparaissent naïves, plus du tout mystérieuses mais limpides comme l'eau claire. Plus rien à attendre d'agréable ou de déplaisant et rien n'arrivera plus, puisque c'est fait, maintenant, que peut-il se passer ?

(p. 37)
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Et voilà mon mari dans l’impasse qui descend m’apportant un repas dans son petit panier. Et il me dit bonjour en me faisant coucou.
« Coucou », fait mon mari en remuant la main dès l’entrée de la place, avec sur le visage un sourire radieux mais quand même un peu triste.
« Coucou », fait mon mari en faisant de la main un geste maladroit pour me signaler sa présence, et il est seul au monde sur ce sentier étroit qui le mène jusqu’ici.
« Coucou », je fais alors moi aussi quelques instants plus tard et il est déjà là.

[…]

Et voilà que Teddy avance dans l’allée, entouré de brouillard. Il vient pour ma toilette. Tous les jours, et très tôt, même samedi, même dimanche, même les jours de congé. Ce moment consacré (bien que machinal, trop rapide, et pour tout dire bâclé) est un moment d’ivresse dans la rigueur du reste.
Les chaussures de Teddy écrasant les graviers s’entendent bien avant l’arrivée de Teddy derrière les nuages, dit Suzanne. Je ne vois pas Teddy à l’entrée de la place mais je perçois de loin le frottement têtu et las de ses chaussures.
Dès que j’entends craquer les chaussures de Teddy j’entends entre les pierres de véritables cris.
J’ai du mal à me relever quand j’entends Teddy qui arrive ; c’est toujours trop tôt, il fait froid, et je n’ai pas dormi. Teddy sort du brouillard et c’est toujours un autre. Et pourtant c’est le même. Le même Teddy qu’hier. Le même que demain.
Et quel autre Teddy surgirait du brouillard que je reconnaîtrais comme un spectre tranquille ne serait-ce qu’une seconde ?
L’endroit du banc est noir où mon corps cette nuit a dormi, dit Suzanne. Ailleurs, aussi loin qu’on peut voir, tout est blanc.
La masse noire de Teddy traversant le brouillard porte tous les matins la bassine toute fumante. Derrière les mille fenêtres invisibles de la ville, tous les jours de leur vie, les hommes se lavent aussi, dans leurs lavabos, changent de linge, je dois donc faire comme eux.
Tu dois faire ta toilette, dit Teddy.
Comme l’eau de la bassine, presque brûlante encore, me transporte d’extase pendant le bref moment où je passe l’eau du gant sur mes membres gelés ! Je glisse rêveusement le gant chaud sur ma peau, caressant plusieurs fois les mêmes endroits gelés, trempant mes mains dans l’eau, laissant fondre le savon, oubliant de me laver.
Dépêche-toi Suzanne, dit Teddy, c’est bientôt l’heure pour moi.
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Je m’appelle Suzanne, j’ai cinquante-deux ans. Cela fait bien trente-cinq ans que je travaille. Douze ans dans ce bureau. Et voilà qu’on me voit assise sans bouger sur un banc à huit heures du soir.
Et ça fait combien de temps que je me suis mariée ? dit Suzanne. Cela fait bien trente ans. Oui. Cela fera trente ans. Il y aura trente ans l’an prochain que je me suis mariée, vingt ans que j’habite cette ville. Et qu’est-ce que cela fait si je reste assise maintenant sans bouger, ce que tout le monde peut voir, sans compter se demander, une femme sur un banc, à huit heures du soir sur un banc, toute seule et assise sur un banc, le banc de la rue Montalbert, si déserte à huit heures du soir. Qu’est-ce que cela fait donc, le banc de la rue Montalbert est presque sur mon chemin, il est donc naturel que je m’assoie puisque je suis si lasse.
Douze ans chez Hans Keller, mon patron, et voilà qu’il me met à la porte, dit Suzanne. À cinquante-deux ans. Trente-cinq ans que je travaille. Douze ans dans ce bureau. Et voilà qu’il me met à la porte. Le dossier Richter, a dit Hans Keller, était l’unique dossier urgent, le principal dossier, les autres peuvent attendre, le plus gros dossier c’est Richter. C’est donc un gros dossier qui m’aura échappé. Que j’aurai oublié dans un coin du bureau. Oublié dans un coin en tant qu’unique dossier. Certainement. Dans un coin du bureau. Pinelli savait-il que le dossier Richter était un gros dossier ? L’unique dossier urgent. Pinelli ou un autre. Et on ne m’a rien dit. Tout se passe tellement vite.
Suzanne, vous passerez dans mon bureau à dix heures, dit le patron Keller.
À dix heures moins cinq je suis devant le bureau du patron et je frappe à la porte.
Entrez, dit Hans Keller dix minutes plus tard, et je rentre.
Il parle. Je suis debout. Il se passe environ cinq minutes, voire moins. Peut-être quatre et demie. Peut-être trois, enfin, il me dit au revoir. Je fais demi-tour et je sors. Je ne fais plus partie de l’entreprise.
Il s’agit d’un dossier, d’un dossier important. Richter. Important et urgent. Énorme dossier paraît-il. Qui aurait disparu.
Devant les menaces du patron je reste debout immobile, je ne dis pas un mot, j’entends pour la première fois prononcer le nom de Richter.

Incipit
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Et vous savez ce que disent les gens? Que vous mangez parfois ensemble comme chez vous. Et pourquoi donc ici? Pourquoi donc pas dans votre maison?... Répondez! dit le flic.
Mais que pourrais-je inventer qui permette qu'on se parle, lui et moi, tranquillement? dit Suzanne. A l'heure où l'on se lève! Quand on voudrait la paix! Et se taire. Parfaitement! Parce qu'on ne peut forcer sa nature par exemple, enfin, à peine debout, et trouver sur le champ une politesse spéciale! Spécialement amicale! Parce que je viens de me lever, et donc, puisque j'étais couchée, je dois déjà m'asseoir, ranger quelques affaires, faire du banc pour le jour un espace habitable et commode, dit Suzanne. Et puis, en vérité, je suis loin de parler au premier-né qui passe, je ne parle pas à vrai dire, je parle à Teddy, parce que Teddy me parle; il vient tous les jours et nous pouvons parler, lui et moi, nous parlons, et il ne se lasse pas, jamais il ne se lasse, bien que j'aie peu de choses à lui dire en fin de compte, à Teddy, mon mari....................... mais par épuisement je me tais, épuisement et rêverie; désaffection aussi, comme si la vague indigne, initialement énorme et débordante de honte qui submergeait mon coeur depuis le premier jour, s'était en quelque sorte déversée dans un lac, disposée à croupir dans cet endroit du monde jusqu'à la fin des temps. Une sorte d'eau dormante, oui, ni vive, ni tranquille, d'une profondeur d'ailleurs inappréciable, oui, abyssale peut-être, en tout cas ennuyeuse, inconnue même de moi, obscure, et mystérieusement silencieuse.
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Je m’appelle Susanne, j’ai cinquante-deux ans. Cela fait bien trente-cinq ans que je travaille. Douze ans dans ce bureau. Et voilà qu’on me voit assise sans bouger sur un banc à huit heures du soir.
(...)
Je cours depuis toujours en rentrant du bureau et là je ne bouge pas, je me suis même assise.
Je regarde les oiseaux. Tout le monde peut me voir.
Au lieu de me hâter, je regarde les oiseaux et je ne rentre pas.
Tout le monde peut me voir, assise à regarder les oiseaux qui sautillent, au lieu de me hâter. Après l’averse, debout, à regarder passer l’eau dans le caniveau, et maintenant assise, regardant près du banc les oiseaux qui sautillent, au lieu donc de rentrer, puisque je ne rentre pas, puisque c’est décidé, au lieu de rentrer je suis là.
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