... J'avais à peine dix ans, petit privilégié aux pulsions mystérieuses, je venais d'entrevoir la dimension érotique de la lutte des classes. C'est pour ça que je me souviens du magnétisme de ce garçon, de son humiliation et de sa colère impuissante, de la méchanceté de mon geste, de la fourberie de mon attitude à son égard et vis-à-vis de mes camarades, se frayant un chemin parmi les zones sombres et la vase des sentiments d'une pensée encore enfantine.
Elle possédait aussi l'humour des êtres bons qui devinent déjà que tout sera plus difficile pour eux.
La compassion n'est qu'un autre mensonge lorsqu'elle ne fournit pas de preuves.
L'horreur subtile de la disparition, ce sont toutes ces questions que l'on se pose, qui se bousculent dans tous les sens et pour lesquelles on n'obtiendra jamais de réponse.
Mais voilà, je n'ai jamais rien fait de ce que j'aurais du faire et les mots que je n'ai pas dits me restent encore à travers la gorge.
Cette lettre, je l'ai toujours, il ne faudrait pas croire non plus que je consacre toute mon énergie à m'enfuir, il m'arrive de répondre des années après, les gens n'en reviennent pas.
Je suis resté longtemps un adolescent immature et prolongé qui donnait le change en prenant l'air d'un adulte mais qui persistait à aimer comme on aime à cet âge, mal, égoïstement, sans risque et sans partage.
La méchanceté est le refuge des faibles, je savais très bien que cette allusion à son rival pour comparer leur attitude à mon égard lui ferait de la peine. La trahison passe aussi par de toutes petites choses.
Il ne se passe pas de jours sans que je repense à ce que j'ai pu faire de mal dans ma vie. Il suffit d'une rencontre, d'un petit incident dans ma vie quotidienne, d'une chanson, d'un paysage, d'une lettre ou d'une lecture, de tout ce qui sollicite en permanence la mémoire pour que m'assaillent des regrets qui sont autant de remords.