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Citations sur Blackout Baby (31)

Amelia Pritlowe buvait un thé dans une minuscule échoppe au coin d’Osborn Street. Tout en soufflant par saccades sur la surface de sa boisson qui produisait des filets de vapeur blanche, elle observait la rue. Le trottoir charriait une foule de marcheurs transis, filant vers l’entrée du métro. Une femme engoncée dans un ample manteau de laine verte surgit du coin de Whitechapel High Street. Une enfant d’une dizaine d’années lui tenait la main. Leur rigidité était impressionnante : la mère et sa fille ressemblaient à deux marionnettes taillées dans un bois dur, maniées par un montreur maladroit. Leurs visages étaient dissimulés derrière de gros masques de protection contre les gaz, qui les transformaient en lémuriens. On eût dit exactement un couple de ces tarsiers des Philippines, à la tête hypertrophiée et aux yeux immenses, accrochés la tête en bas à leurs branches et qui effraient les marcheurs au crépuscule. Elles traversèrent en direction de Church Lane, de cette démarche hésitante, et de la buée les précédait en s’échappant de l’aérateur de leurs masques.
« Voilà ce qu’ils ont fait de nous, pensa Amelia Pritlowe : des lémuriens, des rongeurs, des primates aveuglés et trébuchants… »
Semblant lui donner raison, venant d’Aldgate, un groupe bigarré d’endimanchés en costume sombre, de femmes en chapeau, de jeunes filles du Women’s Volunteer Service avec leurs casques plats posés sur leurs cheveux blonds, passa en direction de l’est. Ils portaient tous les mêmes masques de caoutchouc verdâtre, aux yeux dilatés. Sur leurs poitrines, les enveloppes de toile militaire pendaient telles des bavettes de bébé. Les journaux de la veille avaient relancé la panique en parlant de nouveaux gaz, bien plus terribles que ceux qu’elle avait pu connaître lorsque, jeune infirmière, elle soignait les soldats sur le front de Somme. L’Herald de la veille avait publié un long sujet sur les « usines de la mort du Reich » où se préparaient, disait le reporter, des armes qui pouvaient décider du sort de la guerre.

Amelia Pritlowe baissa les yeux vers son propre étui barré d’une étiquette du ministère de la Sécurité intérieure. Elle savait que plusieurs fois au cours de son service de nuit, en fonction des alertes distillées par la sirène de Whitechapel Station, elle aurait elle aussi à enfiler son masque, à respirer l’odeur de désinfectant bien plus âcre que ceux qu’elle utilisait à longueur de journée, et à lisser les sangles au-dessus de ses oreilles.
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Marylebone Lane est une rue étroite et sinueuse qui glisse de Marylebone High Street vers Oxford Circus; depuis les années de la peste de Londres, une même somnolence l'imprègne. Le site fut longtemps méprisé à cause des nombreuses fosses communes que les habitants creusèrent pour y reléguer les morts des épidémies, entre août et octobre 1665, et qui empuantirent le quartier pendant des mois, au point de lui laisser à jamais un parfum lugubre.
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Malgré le désespoir, le vôtre, et celui de ce monde en perdition, la vie a le droit de gagner. Le grand professeur Bichat a écrit quelque part quelques lignes là-dessus… « La vie a pour fonction principale de contredire la mort », ou quelque chose de ce genre, je crois…
- « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort », corrigea Amelia Pritlowe.
- Voilà… Exactement.
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Elle finissait les injections dans le service des urgences. Au fil de sa progression dans les travées, les gémissements et les cris de douleur se changeaient en râles puis, parfois, presque miraculeusement, en ronflements ou en soupirs, dès que les sédatifs agissaient. Sur sa gauche, deux infirmières-chefs avançaient dans leurs allées d'un pas égal au sien. Elle imagina un instant qu'elles étaient trois faucheuses, apportant le repos définitif à tous ces souffrants.
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Ceux qui passent, la nuit, dans les rues éclairées de loin en loin par des lampadaires aux lueurs rouges le savent ou s'en doutent : le crime aime ces lumières sales et ces ombres. Elles sont propices aux guets, aux pièges et aux embuscades. Le meurtre prospère dans le clair-obscur.
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Les nuages, chassés par le vent qui forcissait, laissèrent passer une lune à demi pleine qui jeta dans Wardour Street un badigeon laiteux. Les arbres de Saint Anne's paraissaient maintenant presque blancs, leurs branches sans feuilles s'agitant comme des algues dans un courant.
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Moi, je passe mes journées et mes nuits à en constater les effets! Je connais les plaies, les blessures, les mutilations, la destruction des âmes et des corps que cette guerre est déjà capable d'infliger. Et nous irions plus loin que ça? Nous voulons plus?
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Le dépôt des chemins de fer était protégé par de hautes piles de sable et de graviers qui avaient été apportées et disposées le long des berges en espérant qu'elles pourraient amortir le souffle des bombes. Là, le canal qui s'était enfoncé sous la rue un peu plus au sud resurgissait, totalement silencieux, entraînant une eau grasse, lente et épaisse, glissant comme un reptile dans la nuit.
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Je suis une infirmière du London Hospital. Notre ville a été affreusement touchée par cette guerre. Londres est une ville en cendres, et sa population une armée de fantômes et de blessés. Voilà où j'ai à faire. Voilà où sont mes compétences aujourd'hui. Voilà où on m'attend, où l'on a besoin de moi.
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Elle se mit brutalement à pleurer, à demi cachée dans un renfoncement qui servait à regrouper les draps. Personne ne la vit. Elle-même ne regardait plus rien, si ce n'est, à travers ses larmes, des fantômes en blouse blanche évoluer, à très grande distance, lui semblait-il, entre des lits qui ressemblaient à des tombes.
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