La réunion, dans un seul volume, d'une dizaine de vos livres vous cause une curieuse sensation. Jusqu'à présent, chaque nouveau livre, au moment de l'écrire, effaçait le précédent au point que j'avais l'impression de l'avoir oublié. Et j'évitais de me retourner et de relire tous ces "romans" que je laissais au fur et à mesure derrière moi, tel l'équilibriste sur le fil : il doit avancer coûte que coûte. S'il hésite et s'il regarde en arrière, il risque de tomber.
Ces "romans" réunis pour la première fois forment un seul ouvrage et ils sont l'épine dorsale des autres, qui ne figurent pas dans ce volume. Je croyais les avoir écrits de manière discontinue, à coups d'oublis successifs, mais souvent les mêmes visages, les mêmes noms, les mêmes lieux, les mêmes phrases reviennent de l'un à l'autre, comme les motifs d'une tapisserie que l'on aurait tissée dans un demi-sommeil.
Les quelques photos et documents reproduits au début de ce recueil pourraient suggérer que tous ces "romans" sont une sorte d'autobiographie, mais une autobiographie rêvée ou imaginaire. Les photos mêmes de mes parents sont devenues des photos de personnages imaginaires. Seuls mon frère, ma femme et mes filles sont réels.
Et que dire des quelques comparses et fantômes qui apparaissent sur l'album, en noir et blanc? J'utilisais leurs ombres et surtout leurs noms à cause de leur sonorité et ils n'étaient plus pour moi que des notes de musique.