AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Soune


Modestement présenté via sa couverture blanche bordée de rouge, ce livre happe le regard. Cette couverture n'est pas commune. le livre non plus.

J'ai ouvert la première page. Quelle ne fut ma surprise de retrouver une citation de Léopold Sédar Senghor! J'avais découvert cet homme extraordinaire à l'âge de 17 ans et j'avais fondu via un de ses poèmes. « L'art du sensible » m'étais-je dis en tentant de le résumer. Et pourtant, mis-à part Rimbaud, ma sensibilité à la poésie est assez limitée à mon goût. Une force s'est tout de suite emparée de moi. Les mots se sont mis à m'envahir. J'ai commencé à devenir lyrique. Mon coeur s'est emballé et j'ai commencé à écrire ce que ça m'inspirait :

« A tous ces inconnus qui nous permettent d'exister, à tous ces délaissés vers qui on ne revient jamais, merci de nous avoir amené vers la vie. Un peuple que l'on oublie est un peuple mort. Un peuple qui se souvient est un peuple promis à un grand avenir. »

Je ne me suis pas trompée. Tout au long de la lecture, j'ai senti mon coeur pulser plus fortement. Après avoir tourné la dernière page, j'ai eu besoin de m'asseoir. Cette histoire vraie mais romancée m'a chamboulée. Tierno Monénembo est un virtuose de la sensibilité.



Mon avis :
Nous sommes en pleine seconde guerre mondiale. Un père et son fils partent cueillir des champignons. En lisière de forêt, le fils pousse un cri, « le cri de sa vie ». Il vient de rencontrer un homme de petite taille, avec des habits de tirailleurs tâchés de boue. Il est noir. C'est le premier homme noir qu'il rencontre.
Le nègre, comme on l'appelle, c'est Addi Bâ, un jeune Guinéen adopté en France à l'âge de 13 ans suite au conseil prodigué par un devin bambara à son père. A l'âge adulte, il est affecté dans le 12e régiment des tirailleurs sénégalais. Capturé après la bataille de la Meuse, Addi Bâ s'évade. Il erre un long moment avant d'être recueilli par les habitants du village de Romaincourt. Son arrivée bouleverse les habitudes des villageois lorrains. Il faut dire qu'"avant son arrivée, personne n'avait vu de nègre…"

Germaine, une fille du village, raconte cette histoire au neveu d'Addi Bâ, venu d'Afrique pour recevoir la médaille de la Résistance que le gouvernement français lui accorde enfin, à titre posthume . Au village, Addi Bâ fascine.Il séduit les femmes qui se mettent à désobéir à leurs maris, les fils qui rêvent de devenir résistants. Il intrigue car il brode en compagnie d'une femme, il a des goûts culinaires particuliers, c'est un héros pour les autres mais il ne l'est pas pour la narratrice, il est devenu un membre à part entière de la famille Tergerosse : « comme s'il était un neveu, un oncle, voire le fondateur du clan.» Mais, pour la narratrice, il incarnera toujours l'amour. Addi bâ lui avait en effet offert son fiancé mais son fiancé est mort. Il incarnera toujours l'amour qu'elle n'a jamais vécu, précise-t-elle. Difficile de le décrire, n'est-ce pas? Normal, répond la narratrice :« La vie d'un tel homme ne se résume pas Monsieur : trop vaste, trop sinueuse, trop incompréhensible, un vrai fleuve ! ». Et puis, en 1942, il entre dans la résistance et crée le premier maquis vosgien :"Délivrance". Surnommé le terroriste noir par les Allemands, il est arrêté et exécuté le 18 décembre 1943 à Epinal. On ne saura jamais qui l'a dénoncé.

En définitive, tous les personnages sont pitorresques. "La Pinéguette »,par exemple, se croit la fille d'Addi Bâ. Pionnière du féminisme, femme au passé sombre et qui n'annonce rien de bon devient la meilleure alliée de la réhabilitation d'Addi bâ car c'est grâce à elle que le gouvernement français va s'intéresser à ce héros inconnu de la Résistance. Yolande, l'institutrice du village, entretient avec Addi bâ une relation « chaste, douloureuse et passionnée ». Elle l'appelle, naturellement, « mon fils ». Il l'appelle, naturellement, « maman ».

Cette histoire nous est racontée de manière surprenante, comme s'il mêlait plusieurs styles ou plusieurs traditions. On a parfois l'impression d'un conte que l'on écoute le soir au coin du feu, entre humour et poésie, joie et déplaisir, émotion et horreur, pour mettre au centre du récit le mythe d'un exilé. Comme l'auteur, nous aussi, on se sent presque nostalgique d'un passé qui est le sien face à un traumatisme politique africain qui n'est pas le nôtre, face à une injustice française qui nous appartient. le passé est troublant. Son passé, notre passé…Je ne peux m'empêcher de penser à nouveau à Léopold Sédar Senghor. Tout comme Senghor, on a envie en lisant le Terroriste noir de prôner nous aussi une civilisation de l'Universel, d'unir les hommes et les cultures différentes où le mot d'ordre est partage. Plus de guerres. Plus d'exclusion. Non ! « Chanter la bravoure des morts, c'est essuyer les larmes des vivants », écrit l'auteur.

Parfois, on se surprend à rêvasser tant l'auteur nous perd un peu dans les détails. Pourtant, ce n'est pas grave. On se surprend à aimer ça, malgré tout. L'histoire romanesque qu'a tissée Monénembo est écrite si merveilleusement bien qu'on ne veut pas en perdre une miette: on rit, on s'émerveille devant la profondeur de certains propos, on est ému, on se questionne, on s'insurge…

En romançant la vie d'un résistant africain en Lorraine, on tombe sous le charme de cet homme inconnu aux multiples facettes, de ces lorrains qui ne savent pas faire face la guerre, de cette histoire inconnue qui est nôtre. Une oeuvre qui aurait certainement plu à Léopold Sédar Senghor. Une oeuvre de la trempe de Léopold Sédar Senghor et, pourtant, c'était un grand Monsieur comme on en rencontre peu. Addi bâ aussi.

Merci, Monsieur Monénembo.


Lien : http://aupetitbonheurlapage...
Commenter  J’apprécie          72



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}