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Critique de Chri


« Je suis dégoûté de la nouvelleté » disait Montaigne. C'est sûrement là son expression la plus paradoxale, car le titre « Les Essais » suggère déjà l'audace du renouvellement. L'écriture elle-même, ses enchaînements impromptus, son style truculent, confirme la joie d'une pensée en mouvement.
On pourrait aussi parler d'un retour à une vie simple, délaissant les affaires, juste attentive à son bon plaisir. Mais son plaisir est aussi manifestement une nouvelle disponibilité pour s'étonner du contraste entre le « branle » du monde qui l'entoure, et les conceptions triviales qu'on en fait.De son environnement immédiat jusqu'aux découvertes du nouveau monde, tout devient matière à enquête ; englobant parfois dans l'incertitude jusqu'à ses propres propositions.

L'audace de ces essais a de quoi stimuler des générations de lecteurs, alors que les conditions actuelles sont objectivement plus favorables qu'à l'époque de Montaigne : nous pouvons vivre et entreprendre sans craindre d'être mobilisé pour une nouvelle guerre, écrire sans craindre de finir au bûcher ; nous pouvons partager nos idées, instantanément, à grande échelle, ce n'est plus l'apanage d'un petit nombre ; nous pouvons dépasser l'introspection, recueillir les commentaires, expérimenter, et de là régénérer nos croyances.

Il faut donc qu'il y ait, aujourd'hui, des dispositions anciennement incorporées, pour expliquer l'attitude conservatrice et individualiste. Or, c'est bien l'attitude de l'Institut Montaigne, think tank néolibéral, qui, dans sa vision du « bien commun » d'un petit nombre, se contente de variations autour de son idée fixe, productiviste, à savoir nous « embesogner » plus longtemps. L'actualité de ces dernières semaines, nous rappelle qu'il s'agirait cette fois de supprimer des congés.
La référence de ce think tank peut embarrasser les amoureux de Montaigne, mais au chapitre « de l'âge », ce dernier ne proposait-il pas déjà de nous « embesogner » plus tôt et plus longtemps ?
Parmi d'autres surprises du même genre, on note aussi la décision de Montaigne de renoncer finalement à publier le livre de son ami La Boétie, le « Discours de la servitude volontaire », écrit à l'âge de 18 ou 16 ans. Mais le plus piquant, c'est que Montaigne fait précisément, de ce jeune âge, un critère pour en diminuer l'intérêt. Jusqu'en 1588, il propose « dix-huit ans » avant de rabaisser à « seize ans ». Les commentateurs posent alors la question « Faut-il voir dans ce changement d'âge une manière de diminuer davantage la portée théorique – et éventuellement subversive aux yeux de certains lecteurs du « Discours de la servitude volontaire ? ».

Le génie de Montaigne, c'est sans doute que ses propositions, aussi contradictoires et surprenantes soient-elles, paraissent toujours sincères, contrairement à celles de l'Institut Montaigne. le rapport à l'argent n'est pas non plus le même, voici ce qu'en disait Montaigne : « Je vis du jour à la journée, et me contente d'avoir de quoi suffire aux besoins présents et ordinaires ».

La lecture des Essais m'a immédiatement rappelé les Oeuvres complètes de Tchouang Tseu. On y retrouve en effet, la truculence, la provocation d'une forme de non-agir, et la vertu subversive de la joie.
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