Comme beaucoup ces derniers temps, j'ai découvert les romans de
Lucy Maud Montgomery à travers son adaptation télévisée sur Netflix, « Anne with an E ». En dépit de son succès international, je n'en avais jamais entendu parler auparavant, mais dès le premier épisode, j'ai été subjuguée par la poésie et la fraîcheur de son héroïne. J'ai donc tout naturellement voulu découvrir l'oeuvre originale, afin de renouer avec cette adorable communauté et aller plus loin dans l'histoire puisque la série a été annulée avant l'heure.
Anne Shirley, petite orpheline aux cheveux de feu de onze ans, débarque à Avonlea, sur l'Île-du-Prince-Édouard au Canada, pour y être adoptée par un frère et une soeur d'un certain âge. Des rêves plein la tête, elle s'enthousiasme autour de chaque feuille, chaque brin d'herbe, comme autant de promesses pour un nouveau départ dans la vie. Pour un foyer où l'on voudrait enfin d'elle et où on lui laisserait assez d'espace pour être qui elle est. Malheureusement, la venue d'Anne chez Matthew et Marilla Cuthbert ne démarre pas sous les meilleurs augures puisque ces derniers avaient expressément demandé à adopter un garçon pour les aider à exploiter leur ferme des Pignons Verts. À la fois dévastée à l'idée d'être renvoyée à l'orphelinat et prête à défendre sa cause, la fillette démontre d'emblée de grands talents d'oratrice… et de comédienne. Non dans le sens où elle jouerait un rôle, loin de là, mais dans celui où elle en rajoute des couches et monte toute seule en pression à s'imaginer mille et un scénarii à la minute, surtout s'ils tendent vers de grands mélodrames.
On pourrait dès lors croire avoir affaire à une gamine capricieuse, mais ceux qui ont déjà rencontré Anne savent qu'il n'en est rien. C'est d'ailleurs elle qui fait toute la force de ce récit. Il se dégage d'elle quelque chose de merveilleux, d'indicible, de contradictoire. Ses déboires dans la vie l'ont rendue aussi forte que fragile. de voir une fillette de cet âge faire tant de jolies phrases, de voir les choses, les gens, la nature, d'un oeil si frais, candide et innocent… Comme Anne le dit si bien : « Mais si on a de grandes idées, il faut bien se servir de grands mots pour les exprimer, pas vrai ? ». Ces élans lyriques l'emportent au quotidien vers des contrées lointaines où elle se rebaptise Cordélia et s'imagine en proie à maints tourments tragiques. Sa nature extravertie contraste avec délice avec la rigueur de Marilla. Jamais mariée et n'ayant jamais eu d'enfants, celle-ci est clairement de la vieille école, bien décidée à garder Anne dans le droit chemin en dépit de ses idées fantasques et des étourderies qui en découlent fréquemment. Au départ convaincue que son frère Matthew jetterait le trouble sur leur foyer en plaidant la cause d'une orpheline dont elle ne voulait pas, elle s'assouplit avec le temps et s'ouvre à l'amour de celle qui a tant à offrir après avoir été tant de fois abandonnée.
À mon sens, l'oeuvre est destinée à un public assez jeune ; cela se voit à travers la manière dont le récit est mené. Tout est centré sur Anne, Marilla et Matthew, avec de fréquentes allusions à sa meilleure amie Diana et à la terrible commère du village Rachel Lynd. Les autres personnages sont à peine effleurés, on ignore tout d'eux – ou presque – et si l'autrice les nomme, nous restons un peu sur notre faim quant à leurs interactions avec Anne. L'histoire en elle-même suit d'ailleurs la même tendance. Les tirades d'Anne prennent de la place (mais comment s'en plaindre ?) alors que les événements sont survolés. Les anecdotes se succèdent, on est tantôt émus, tantôt amusés, parfois les deux en même temps, mais rien n'est vraiment approfondi quand on y pense. Il manque un certain fil conducteur en dehors de celui de mener Anne vers l'âge adulte. Et pourtant, l'oeuvre aborde des thèmes aussi pertinents que le féminisme, l'anticonformisme, la définition de la famille au-delà de son sens commun le plus strict, l'acceptation de soi également comme le montre si bien les déboires d'Anne avec ses cheveux roux. Elle s'attaque à l'idée reçue qui sévit encore de nos jours selon laquelle l'Art est secondaire, frivole, qu'il s'agisse de littérature ou d'imagination, que de telles fantaisies sont déplacées dans un contexte où chacun doit se retrousser les manches pour survivre à l'aube du XXème siècle.
Ce roman, si bucolique et enchanteur, est un véritable retour aux sources, l'ancêtre du Feel-Good, un plaidoyer pour la nature et l'amour sous toutes ses formes. À l'instar de Fifi Brindacier, Anne n'hésite jamais à se battre pour ce en quoi elle croit, pour plus de justice en ce monde, plus de liberté, d'égalité. Elle se débat contre la fatalité avec exaltation. Faire sa rencontre, peu importe le média, c'est ne plus jamais vouloir la quitter.
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