Étrange impression de constater combien certains individus peuvent changer − euphémisme stéréotypé pour ne pas dire vieillir. Et puis il y a celles et ceux que je ne connais pas, qui étaient des amis de ma grand-mère.
Mon esprit vagabonde à hue et à dia, entre baignades et courses dans les rochers de mon enfance. J’ai la sensation vive qu’une partie de moi est allée dans ce cercueil. Parfois un deuil nous bouleverse tant qu’il transforme notre regard sur la vie et sur les autres, et nous laisse soupçonner des perspectives auxquelles on n’a pas songé. Notre existence peut prendre alors un tournant radical.
Sans doute ma mère songe-t-elle que je ne sais pas m’y prendre avec les hommes, que je suis incapable de les retenir, que quelque chose cloche pour que je ne lui aie encore présenté personne. Bref, une paria du mariage. Pire ! Elle n’est pas loin de croire que je ne suis pas attirée par eux. « Pense à ton âge − la fameuse horloge biologique dont on nous rebat les oreilles −, plus tu attendras, plus ce sera difficile. Tu ne vas pas faire comme toutes ces femmes qui attendent d’avoir quarante ans pour penser à la maternité ? »
Je ne serais même pas certaine de le reconnaître si je le croisais dans la rue ! Les garçons changent beaucoup et si vite. L’âge d’homme est parfois traître : certains beaux gosses deviennent des adultes tout à fait banals. L’inverse est plutôt rare ! Par chance pour elles, quelques chenilles réussissent leur métamorphose. Quant aux amours anciennes, rongées aux mites, elles sentent la naphtaline. Qui est assez naïf pour croire qu’une foucade d’adolescents pourrait renaître de ses cendres ?
L’adolescence a formé des clans, par affinités, par désirs, et nous avons alors fini de nous amuser. C’étaient les sorties à la plage pour observer nos corps se transformer, pour tester notre séduction, entre nous ou auprès des autres. À ce jeu-là, j’étais souvent gagnante. C’est aussi durant un été là-bas que j’ai vécu mon premier amour. Celui qu’on n’oublie jamais. Thibaut.
J’ai compris, mais tant que le terme n’est pas prononcé, j’ai encore du mal à y croire. L’euphémisme n’a pas la vertu qu’on lui prête, du moins pour moi en cet instant.