Citations sur Sous le charme de Lillian Dawes (28)
Il avait songé à Mme Belmont, qui avait brièvement occupé l'appartement d'en face et s'asseyait, en sous-vêtements, devant la coiffeuse de sa chambre. Spencer la regardait se maquiller et se brosser les cheveux sans imaginer qu'il puisse y avoir quoi que ce soit d'inconvenant dans son attitude ou dans celle de la voisine, jusqu'au jour où notre père s'était enquis d'un M. Belmont ; Spencer avait spontanément déclaré que Mme Belmont était veuve. Père avait reposé son journal et demandé à Spencer ce qui lui faisait croire ça, et il avait répondu, très fier de ses capacités de déduction : "Parce qu'elle porte des sous-vêtements noirs." Une réponse qui lui avait valu sa première et unique gifle.
La vérité est le refuge des gens ordinaires et sans imagination, et elle est souvent décevante, tandis qu'un mensonge digne d'être prononcé ou bien tourné est, disons, une sorte de don.
J'attrapai une poignée de chocolats, espérant en trouver un au caramel ou à la noix de coco. Nous avions depuis longtemps perdu la fiche qui accompagnait la boîte, si bien que la seule façon de savoir quel chocolat on mangeait, à moins d'y goûter, était de piquer une épingle par en dessous et de regarder la couleur de la petite perle qui en sortait. De cette façon, on pouvait, ni vu ni connu, reposer ceux qu'on aimait pas - ceux à la pâte d'amande par exemple.
Il y a presque toujours dans la vie un moment clé, un point divisant le temps entre un avant et un après - un accident ou une histoire d'amour, un voyage ou peut-être un décès. Dans le cas de Spencer, les quatre, tels les points cardinaux sur une boussole, se combinèrent sous la forme de Lillian Dawes. Et comme il est impossible d'être le témoin d'un drame sans en conserver l'empreinte, cette femme marqua, pour moi aussi, le grand tournant.
C'est vrai qu'il avait toujours aimé la compagnie des livres et qu'il était capable de quitter un cours de tennis à la recherche d'une balle perdue, pour se retrouver dix minutes plus tard plongé dans la lecture d'un recueil de poésie oublié sur le gazon ou dans la contemplation des carpes au bord de l'étang à nénuphars.
Les gens ne sont pas des noix qu'on ouvre d'un coup. Apprendre à connaître quelqu'un est un plaisir à savourer, comme du chocolat. On ne peut pas l'avaler tout rond, il faut le laisser fondre lentement afin que le palais en goûte chaque infime nuance.
Comme du champagne débouché depuis très longtemps, la soirée perdait de son effervescence.
Dans son tailleur austère en maille de soie à chevrons brun et noir, avec son nez aquilin et son front haut, Lavinia Gibbs ressemblait plus à un rapace qu'à une femme au passé tumultueux. Son maintien avait quelque chose de sévère et la fine ligne de sa bouche suggérait la rectitude. Seules ses spectaculaires chapeaux empanachés et les bracelets qui cliquetaient à ses poignets avec l'insistance aléatoire d'un carillon à vent contrastaient avec son apparence strict et collet monté.
La pièce possédait cette stérilité propre aux chambres d'amis, tous les attributs familiers d'une chambre à coucher mais sans l'emprunte d'un propriétaire, qui confère invariablement un caractère particulier à l'espace qu'il habite.
- Mais assez de questions pour le moment. Les gens ne sont pas des noix qu'on ouvre d'un coup. Apprendre à connaître quelqu'un est un plaisir à savourer, comme du chocolat. On ne peut pas l'avaler tout rond, il faut le laisser fondre lentement afin que le palais en goûte chaque infime nuance.