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Critique de Bellonzo


Un Magyar, un Européen


Immense auteur enfin honoré Sandor Marai le Hongrois qui choisit la nuit aux Etats-Unis en 1989 n'en finit pas de m'envoûter. Sixième livre pour moi, "Les confessions d'un bourgeois" date de 1934, Marai a alors 34 ans. Les autres ouvrages que j'ai lus sont bien plus tardifs mais la maîtrise de l'auteur est déjà très affirmée. Dans une petite ville de Hongrie l'enfance de Marai est celle d'une grande famille bourgeoise, pas chaleureuse pour deux forints et pas mal engoncée dans cette fabuleuse Mitteleuropa qui ne sait pas encore son explosion prochaine. Souvenirs des précepteurs, des voisins, d'un antisémitisme dans une version assez sinueuse. le jeune Sandor connaît l'internat, proche de L'élève Toerless, on comprend bien là le tronc commun des Musil, Zweig, Schnitzler, Perutz, etc. ces auteurs qui me passionnent au sujet de ce monde qui va rompre, de cette dynastie Habsbourg qui les abrite plus ou moins, qui les étouffe serait un terme plus approprié. Entre église et bordel se fait ainsi l'éducation de l'enfant puis de l'adolescent, mal à l'aise et qui fuguera dès quatorze ans avant d'être rattrapé par la grande démocrate de 14-18, celle qui a en quelque sorte remis en place ce vieux continent.

La deuxième partie de ces longues confessions, bien qu'il ne faille pas prendre ce terme au sens moral, est consacrée aux quinze années suivant le conflit. Elle est tout aussi fascinante. Marié, enfin un peu, Sandor Marai vivra partout, à Leipzig, à Berlin au moment de la gigantesque inflation, un peu à Weimar aussi. L'hôtel Adlon et toute la mythologie du Berlin avant que la ville ne s'enténèbre. Marai, observateur, s'engage rarement, farouche individualiste. Plusieurs mois à Florence, assez impressionné par le fascisme, ce qui s'explique plutôt bien lors de la marche sur Rome même si l'homme n'est pas dupe longtemps. Il débarque à Paris pour quelques semaines et y vivra six ans, témoin parfois étonné, toujours d'une grande lucidité. Montparnasse, le Dôme, la Coupole, cette époque bénie où Marai, qui commence à vivre de sa plume, boit un verre aussi bien au Ritz qu'aux terrasses des grands boulevards. Ses descriptions de Parisiens valent leur pesant d'or que ce soit les chauffeurs de taxi ou les concierges.

Sandor Marai est souvent à Londres, les Britanniques sont si exotiques et l'auteur est si habile à décrire ainsi toutes ces sociétés occidentales, si loin de sa Hongrie qu'il finira par regagner. Non sans avoir également visité les "provinces" françaises qui l'étonnent, tellement "sonné " par les vitraux de Chartres si chers à Péguy que Marai vénère. Il commence ainsi à comprendre cette France si étrange à lui, le voyageur, partout curieux de rencontres et contemplatif. Quelques verres dans un bistrot de Dijon, un matin avec les poissonnières de Calais, le sabir partagé avec quelques "métèques" à Marseille, Sandor Marai apprend tout de la vie, même l'ondulante politique de la Troisième République.

C'est curieux comme on a ignoré si longtemps Marai. La belle pièce "Les braises" me semble avoir enfin réveillé les lecteurs, un peu. J'ai déjà écrit sur plusieurs livres de celui qui a pris une place d'honneur dans mon panthéon littéraire, tardivement certes, mais fortement. Je vous invite à plonger tête baissée dans ses livres et à traverser ainsi trois quarts de siècle, avant que Sandor Marai ne décide que la vie a cessé de valoir le coup. C'était en février 89 à San Diego, Californie, si loin de la République Populaire de Hongrie qui ne devait guère lui survivre. Bien fait pour elle qui ne l'avait jamais beaucoup aimé.
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