C'est peut-être ce que je devrais faire, mais j'en sais assez sur ce qui se passe en Irlande pour me rendre compte qu'en dépit de ce que nous aimons croire l'armée britannique n'est pas incapable de commettre une atrocité de temps à autre.
- Vous savez que les rapports assurent qu'une insurrection indienne a été réprimée ?
- Sauf votre respect, monsieur, ces rapports sont... erronés. Les histoires que nous entendons de sources indiennes donnent une image très différente.
- Et que disent ces sources exactement ?"
Il se tortille sur son siège. "Elles disent qu'une foule pacifique et sans armes a été fauchée systématiquement, sans sommation ni possibilité de se disperser.
- Ces gens-là savent que de tels rassemblements sont illégaux selon les lois Rowlatt. Ils n'auraient pas dû être là.
- Monsieur", commence-t-il. Il y a dans sa voix une dureté que je n'avais pas relevée auparavant. "Je ne souhaite pas débattre des qualités et des défauts du système juridique actuel dans ce pays. Mais je ne me sens plus capable de faire partie d'un système qui traite le peuple de cette façon, mon propre peuple."
En dehors des missionnaires, combien avez-vous rencontré de vos concitoyens réellement heureux ? Ils maudissent les indigènes et le climat, passent leurs journées imbibés de gin dans le splendide isolement de leurs clubs, et pourquoi ? Pour pouvoir vivre ici avec la prétention d'être ici pour le bien des indigènes. Tout cela est un mensonge, capitaine. Et c'est à nous-mêmes plus qu'aux Indiens que nous mentons. Ceux d'entre eux qui sont éduqués, poursuit-il en indiquant Banerjee, nous voient tels que nous sommes, et quand ils demandent l'autonomie nous prétendons ne pas comprendre comment ils peuvent être aussi ingrats.
- A vous entendre, nous sommes irrémédiablement mauvais ?
Il secoue la tête. "Non, capitaine. Si nous l'étions, nous n'aurions nul besoin de l'hypocrisie. Nous n'essaierions même pas de justifier notre présence en tant que maîtres dans la maison de quelqu'un d'autre. C'est précisément parce que nous cherchons la rédemption que nous nous persuadons que nous sommes ici en bienfaiteurs.
Nous avons saigné cette terre à blanc et rempli nos coffres. Nous avons pêché contre le Seigneur car ce n'est pas Lui que nous avons servi mais Mammon, et nous avons le culot de nous mentir à nous-mêmes en prétendant être ici en protecteurs et non en parasites.
Chaque année, des bateaux de jeunes Anglaises à la peau couleur de navet arrivent en quête de mari. Il en vient depuis des années mais il y en a beaucoup plus depuis la guerre.
Vous savez qu'il y a de fortes chances que votre steak soit du buffle plutôt que du bœuf ? Rappelez-vous, la vache est sacrée pour les Hindous. La majorité du personnel de cuisine refuse d'y toucher et beaucoup de restaurants trouvent plus facile de servir du buffle à la place, en particulier de nos jours où des association de protection des vaches poussent de tous les côtés.
La supériorité morale. Ce sont les mots de l'Irlandais Byrne. Il avait raison. Notre pouvoir sur ce pays dépend de nos prétentions à la supériorité morale. Elle est souvent implicite mais évidente dans tout ce que nous faisons. Nous y croyons. L'Empire est une force du bien. Il doit l'être, sinon pourquoi sommes-nous ici ?
- J'ai grandi. Je me suis mêlé de politique. C'est une habitude chez les Bengalis. Notre passe-temps national. Vous avez le jardinage, nous avons la politique. J'ai commencé à m'intéresser aux écrits d'hommes tels que Pal et Tilak. Ils m'ont ouvert les yeux sur la véritable nature de votre autorité dans mon pays.
Peut-être cette éducation occidentale n'était-elle pas une si bonne idée, après tout? Peut-être nous a-t-elle donné, à nous "Bengalis prétentieux", des idées au-dessus de notre condition ?