L'attaque du Calcutta-Darjeeling

J'ai fini par comprendre que le seul moyen de mettre fin à la domination britannique en Inde était de supprimer ces prétextes et de vous révéler la vraie nature de votre occupation de mon pays. Tel était le message que j'étais revenu délivrer : que nous ne pouvons espérer obtenir notre liberté que grâce à l'unité de tous les Indiens et en faisant appel aux bons sentiments de nos oppresseurs au moyen de la non-coopération non-violente.

Je me suis alors rendu compte que nos actions - celles de Jugantor et d'autres groupes - ne servaient qu'à justifier votre répression. Chaque bombe qui explosait, chaque balle, vous fournissait une excuse pour resserrer votre contrôle sur nous.

C'est alors que j'ai compris. J'étais coupable des mêmes actes que ceux que j'imputais aux Britanniques. Si je vous accusais de traiter les Indiens en inférieurs, je ne pouvais pas prétendre que l'Indien est supérieur à l'Anglais. Nous devons être égaux. Et si nous sommes égaux, je dois vous accorder la même dignité qu'aux Indiens. Si je crois que les Indiens ont une conscience et un sens moral, en substance, que nous sommes bons, alors je dois également accepter que la plupart des Anglais sont bons aussi. A partir de là, il s'ensuit que quelques Anglais au moins seront prêts â reconnaître leurs erreurs, si seulement elles leur sont signalées.

J'ai lu les écrits de M.K.Gandhi avec une attention particulière. Il a posé une question différente. Il a demandé : "Si notre cause est juste, pourquoi nos oppresseurs n'en ont-ils pas conscience ?" Il soutenait que si l'oppresseur admet tout au fond de son cœur qu'il a tort, il n'aura plus la volonté de continuer à opprimer. Au début cette notion m'a fait rire. Dans cette logique, il suffisait que nous vous montrions la cruauté de vos actions pour que vous reculiez d'horreur, que vous vous repentiez et rentriez chez vous. Ce n'était pour mon esprit critique que les illusions d'un incroyable naïf. Si nous faisions appel à vos bons sentiments, vous reconnaitriez vous-mêmes vos erreurs !". Il rit à cette absurdité et poursuit. "Tout d'abord, je ne croyais même pas à l'existence de vos bons sentiments.

S'il existe en Inde une chose telle que le bonheur, on la trouve probablement parmi les classes pauvres et illettrées qui ont peu de contact avec les Britanniques ou l'élite indienne. Chez des gens comme Salman le conducteur de rickshaw. Pour lui, le bonheur, c'est un ventre plein et une bidi avant de dormir et il lui est parfaitement indifférent que ce soient des sahibs en costume cravate ou des babus en dhotis qui siègent à Writers'Building et dirigent le pays.

- C'est un mot bengali. Il signifie "les civilisés", ce que nous appellerions "les gentlemen". Il se réfère principalement aux Hindous de la caste supérieure qui est la plus respectée parmi les indigènes. Ils sont tous gros et mous. Ce n'est pas du tout dans leur nature de commettre un tel acte.

Les Britanniques font semblant d'être ici pour apporter les bienfaits de la civilisation occidentale à un tas de sauvages insoutenables alors qu'en réalité c'est encore et toujours une affaire de bénéfices commerciaux mesquins.

Il y a eu une époque, Sam, où les Indiens et les Britanniques s'entendaient extrêmement bien. Les sahibs portaient des vêtements traditionnels et suivaient les coutumes locales. Et naturellement, ils épousaient des femmes indigènes. Cela a été une bonne chose pour les Indiens aussi. Les Britanniques ont apporté avec eux de nouvelles idées qui ont mené à une explosion de culture chez les Bengalis. Elle a déclenché ce qu'ils aiment appeler la Renaissance du Bengale. Au cours du siècle dernier ce petit pays a produit plus d'artistes, de poètes, de philosophes et de scientifiques que la moitié de l'Europe. C'est du moins ce que vous diraient les Bengalis. L'ironie c'est que les nouvelles idées de démocratie et de raisonnement empirique apportées par les Britanniques, celles dont ils étaient si fiers et que les Bengalis ont adoptées avec tant d'enthousiasme, sont celles-là mêmes que le gouvernement trouve aujourd'hui si dangereuses quand elles sont portées par des gens à la peau brune.

Faire des concessions, laisser les Indiens prendre progressivement la responsabilité de diriger ce pays jusqu'à ce qu'un jour il puisse prendre place à la table des nations de l'Empire, à côté de l'Australie, du Canada et autres. Mais dans la pratique ? Vous devez vous rappeler qu'un Indien est un Asiatique. On ne peut pas se fier à lui comme à un Australien ou un Canadien ou même un Sud-Africain, d'ailleurs. Nos réformes n'ont servi qu'à ouvrir la boîte de Pandore. Nous les avons laissés goûter au pouvoir et au lieu de nous en être reconnaissants ils en veulent davantage et encore davantage.

Et ça n'a pas été facile, notamment ces dernières années où il a eu affaire à des revendications grandissantes d'indianisation de tout et n'importe quoi.