Citations sur Animal du coeur (27)
Les jours étaient suspendus à la ficelle du hasard, ils se balançaient et me renversaient, depuis mon licenciement.
Le capitaine Piele dit : tu vis de cours particuliers, de tentatives de subversion du peuple et de coucheries. Tout ça est illégal. Le capitaine était assis à son grand bureau tout reluisant, et moi à une austère table de pécheresse. Sous son bureau, je voyais deux chevilles blanches et, sur sa tête, une calvitie aussi humide et bombée que le palais de ma bouche. Je voyais sa calvitie sur un oreiller funéraire rempli de sciure, et ses chevilles sous un linceul.
Et sinon, comment ça va, demanda le capitaine. Son visage n'était pas haineux. Je savais que je devais faire attention, car la dureté arrivait toujours par-derrière, quand son visage était tranquille. J'ai de la chance d'être tombée sur vous, dis-je. Moi, je vais bien, en fonction de ce que vous décidez. C'est bien pour ça que vous travaillez.
Ta mère veut quitter le pays, dit le capitaine, c'est écrit ici. Il agita une feuille manuscrite. C'était une écriture qui n'était pas celle de ma mère, me semblait-il. Je dis : elle, peut-être, mais moi, je suis loin de vouloir ça.
Le même jour, j'écrivis un petit mot à ma mère pour lui demander si c'était bien son écriture. La lettre ne lui est jamais parvenue.
Le souffle s’échappant de nos bouches grimpait dans l’air froid. Une bande d’animaux en fuite nous passait devant le visage. Je dis à Georg : regarde, l’animal de ton cœur s’en va. Georg me releva le menton avec son pouce : toi et ton animal du cœur souabe, fit-il en riant.
Ne pas oublier la date quand on écrit, dit Edgar, et toujours mettre un cheveu dans la lettre. S’il n’est plus là, on sait qu’elle a été ouverte.
Un seul cheveu à la fois, pensai-je, dans des trains parcourant le pays. Un cheveu noir d’Edgar, blond de moi. Un roux de Kurt et de Georg. Les étudiants les appelaient les gars en or. En cas d’interrogatoire, une phrase parlant de « ciseaux à ongles », dit Kurt ; pour une fouille, une phrase comportant le mot « chaussures », pour une filature, une phrase avec le mot « enrhumé ». Toujours un point d’exclamation après la formule d’appel, mais une simple virgule en cas de menaces de mort.
Les arbres du rivage pendaient dans l’eau. C’étaient des saules communs et des saules fragiles. Dans mon enfance, les noms des plantes savaient la raison de mes actes. Ces arbres ne savaient pas pourquoi nous marchions le long du fleuve, Edgar, Kurt, Georg et moi. Tout ce qui nous entourait sentait l’adieu. Aucun de nous ne dit ce mot.
"Je passai sous silence les nuages, dans le ciel, étendus comme du linge blanc au-dessus de la ville. Et les roues du tram qui soulevaient de la poussière, les wagons qui se laissaient traîner et prenaient le même chemin que moi. Et les passagers qui, à peine montés, s'installaient près de la fenêtre comme s'ils étaient chez eux."
"Si mon père avait emporté le vélo à la gare, reprend Georg, c'était pour ne pas devoir marcher trop près de moi, à l'aller, et, au retour, pour ne pas sentir dans ses mains qu'il rentrait seul."
Marcher vite et lentement, traîner ou foncer, on y arrivait encore. Flâner, on ne savait plus.
J'ai raconté à Tereza ce qu'est un interrogatoire. J'ai commencé sans raison, comme en parlant toute seule. Tereza s'agrippait à sa fine chaîne en or, de deux doigts. Elle ne bougeait pas pour ne pas troubler ces sombres précisions.
1 veste, 1 chemisier, 1 pantalon, 1 collant, 1 culotte, 1 paire de chaussure, 1 paire de boucle d'oreille, 1 montre bracelet. J'étais toute nue,ai-je dit.
1 carnet d'adresse, 1 fleur de tilleul séchée, 1 trèfle séché, 1 stylo bille, 1 mouchoir, 1 mascara, 1 rouge à lèvre, 1 poudre, 1 peigne, 4 clefs, 2 timbres, 5 tickets de tramway.
1 sac à main.
Tout était noté dans les rubriques d'une feuille. Moi le capitaine Piele ne m'a pas notée. Il va me mettre en prison. On ne pourra lire sur aucune liste qu'à mon arrivée j'avais 1 front, 2 yeux, 2 oreilles, 1 nez, 2 lèvres, 1 cou. Je le tiens d'Edgar, de Kurt et de Georg : au sous sol, il y a des geôles.
La mort de Tereza m'a fait mal comme si j'avais eu deux têtes éclatant en même temps. Dans l'une, il y avait l'amour fauché, et dans l'autre, la haine. Je voulais que l'amour repousse. Il repoussa comme l'herbe et le foin, pêle-mêle : l'amour fut dans mon front, l'affirmation la plus froide. Ma palnte la plus nulle.
"Tu te figures que ça te rend invisible, de n'avoir confiance en personne."