L’amour est tout où il n’est rien. Seul comptait l’instant présent
Je ne savais plus qui avait prétendu que les hommes ne reçoivent du destin que ce qu’ils sont capables d’endurer, mais c’était faux. Le plus souvent, le destin est un salopard pervers et vicieux qui prend son pied en broyant la vie des plus faibles alors que tant de connards mènent une existence longue et heureuse.
Il ne faut pas trop demander aux livres. Ils vous racontent des histoires, vous font vivre par procuration des bribes d’existence, mais ils ne vous prendront jamais dans leurs bras pour vous consoler lorsque vous avez peur.
Quelques-uns surent rester dignes. Parmi eux, Jean-Christophe Graff, mon prof de français, et Mlle DeVille, la prof de littérature anglaise des hypokhâgnes. Je n’assistais pas à ses cours, mais je l’entendis avoir cette formule dans le bureau de ma mère : « Ne nous abaissons pas à fréquenter la médiocrité, car c’est une maladie contagieuse. »
Elle cita Stendhal et son processus de cristallisation amoureuse : « Au moment où vous commencez à vous occuper d’une femme, vous ne la voyez plus telle qu’elle est réellement, mais telle qu’il vous convient qu’elle soit. »
Dans une ambiance de carnaval, des chars multicolores se mettaient en branle pour la traditionnelle bataille de fleurs. Une foule dense et joyeuse se massait derrière les barrières en acier : des mômes avec leurs parents, des ados déguisés, de vieux Antibois qui avaient délaissé leur terrain de pétanque. Quand j’étais enfant, la bataille de fleurs traversait toute la ville. Désormais, sécurité oblige, il y avait un flic tous les dix mètres et les chars tournaient en rond avenue de Verdun. L’air était chargé d’un mélange de joie et de tension. On aurait voulu s’amuser et se lâcher, mais le souvenir de l’attentat du 14 juillet à Nice était dans toutes les mémoires. J’éprouvais de la peine et de la rage en regardant les enfants qui agitaient des bouquets d’œillets parqués derrière les barricades. La menace d’attentat avait tué chez nous la spontanéité et l’insouciance. Nous avions beau prétendre le contraire, la peur ne nous quittait jamais vraiment et faisait planer sur toutes nos joies une ombre indélébile.
Le plus souvent, le destin est un salopard pervers et vicieux qui prend son pied en broyant la vie des plus faibles alors que tant de connards mènent une existence longue et heureuse.
J’ouvris la bouche pour crier, mais déjà Clément venait de se saisir d’un tesson de bouteille. Impuissant, je le vis lever le bras pour abattre sur moi le long morceau de verre brisé. Puis le temps se délita et je sentis ma vie s’échapper. Ce fut l’une de ces secondes qui donnent l’impression de durer plusieurs minutes. L’une de ces secondes qui font basculer plusieurs existences.
À cheval sur plusieurs communes (dont Antibes et Valbonne) et souvent présentée comme la Silicon Valley française, Sophia Antipolis était un écrin de verdure au sein d’une Côte d’Azur trop bétonnée. Des milliers de start-up et de grands groupes spécialisés dans des secteurs de pointe avaient élu domicile sur ses deux mille hectares de pinède. L’endroit avait des atouts pour attirer les cadres du monde entier : un soleil radieux les trois quarts de l’année, la proximité de la grande bleue et des stations de ski du Mercantour, de nombreux équipements sportifs et des écoles internationales de qualité, dont le lycée Saint-Exupéry était justement le fer de lance. Le sommet de la pyramide éducative des Alpes-Maritimes. L’établissement dans lequel chaque parent espérait pouvoir un jour inscrire sa progéniture, confiant dans l’avenir promis par la devise de l’école : « Scientia potestas est. »
"Un moment, je m'étais fait croire que les livres pouvaient me guérir de ce sentiment d'abandon et d'apathie, mais il ne faut pas trop demander aux livres. Ils vous racontent des histoires, vous font vivre par procuration des bribes d'existence, mais ils ne vous prendront jamais dans leurs bras pour vous consoler lorsque vous avez peur."