AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bouteyalamer


Ce roman extraordinaire, sous-titré " chronique familiale ", est précédé d'un arbre généalogique incompréhensible et faux. C'est l'histoire de van et Ada qui se croient cousins, de Lucette, la petite soeur d'Ada, de leur père Démon (" notre père qui est en enfer "), et d'une profusion à la russe de personnages secondaires. Cinq parties : la première a 400 pages et 42 chapitres, la seconde 150 pages, la troisième, la quatrième et la cinquième 100, 50 et 30 pages respectivement.

Le roman pourrait se limiter à la première partie, datée de 1884 à 1888 et située dans le domaine utopique d'Ardis, variante luxueuse et luxurieuse de l'abbaye de Thélème, où l'on aperçoit d'entrée " deux enfants nus, lui le teint mat et hâlé, elle blanche comme le lait ". van a 14 ans et Ada 12 ans. van est le visiteur et Ada la résidente. Les ressources d'Ardis semblent illimitées : château, bois, étangs, domesticité, festins (" Ada conduisit son timide invité dans la grande bibliothèque du second étage, orgueil d'Ardis et pâturage favori de la petite verbivore " p 68). Les enfants vont jouer à se connaître, puis s'aimer follement (" Ada l'attendait debout adossée à un tronc d'arbre comme une belle espionne qui vient de refuser qu'on lui bande les yeux " p 359), souvent sous le regard de Lucette. Quand il quitte Ardis, van est infidèle, Ada a des amants et la première partie s'achève par une scène drolatique de duel.

Dans la deuxième partie, van est poursuivi par sept lettres d'Ada écrites en 1888-92 et qu'il ne lira qu'en 1940. On y retrouve l'ardeur d'Ada qui reproche à van " d'avoir ouvert en moi, lorsque j'étais encore enfant, une source de frénésie, une fureur de la chair, une irritation insatiable… le feu que tu as allumé a laissé son empreinte sur le point le plus vulnérable, le plus pervers, le plus sensible de mon corps. Aujourd'hui il faut que j'expie l'excès de vigueur prématurée avec lequel tu as raclé la rouge écorchure, comme le bois calciné doit expier d'être passé par sa flamme " (p 437). Suivent des digressions érotiques autour de Floramor, un réseau de lupanars à tendance pédophile. van et Ada se retrouvent et sont surpris par Démon. van se confesse " Je l'ai séduite pendant l'été 1884. Sauf une fois, nous n'avons plus fait l'amour jusqu'en 1888. Puis, après une longue séparation, nous avons vécu ensemble tout un hiver. En tout, j'ai dû la posséder un millier de fois. Elle est toute ma vie " (p 572). Démon révèle à van qu'Ada est sa soeur, ce qui est clair pour le lecteur depuis les premières pages.

Dans la troisième partie, van voyage, écrit ses livres, est nommé à la chaire de philosophie de Kingston, poursuit sa carrière de libertin acharné, se refuse à Lucette qui se suicide (J'ai sauté des pages, idem pour la 4ème partie).

La dernière partie, la plus brève, récapitule la vie de van qui a maintenant 94 ans. Plaisanterie ultime, l'auteur nous y confie une autocritique satisfaite et lapidaire : " Il n'est rien dans la littérature mondiale, sauf peut-être les réminiscences du comte Tolstoï, qui puisse le disputer en allégresse pure, innocence arcadienne, avec le chapitre de ce livre qui traite d'Ardis " (p 755). Bien. Retour à la première partie.

Pour rendre justice au livre, il faut dire pourquoi il est extraordinaire. Par la sensualité édénique de la première partie : l'érotisme, l'insouciance, la nature ; pourrait-on actuellement écrire un tel livre ? Par sa verve intarissable : il faut 500 pages pour s'en lasser. Par la fantaisie et l'agilité de Nabokov. Ce démon nous désarçonne cent fois par ses jeux de mots, ses glissements sémantiques, ses anagrammes (" escient, ceintes, insecte, inceste " p 125), sa science botanique et entomologique, par ses allusions littéraires et sa fantaisie chronologique : En 1888 van a lu Proust, il prend un avion transatlantique, ses invités n'ont pas apporté de transistor, etc. Nabokov joue, il nous fait revenir en arrière pour vérifier ce qu'on a lu et jouir de sa complicité. Nabokov, qui a traduit en russe Alice in Wonderland, a dû épuiser ses deux traducteurs. Parfaitement francophone, il a revu leur traduction.

Commenter  J’apprécie          201



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}