Il ne fallait plus inviter Untel, Untel et Untel. Ne plus voir ceux-là . Refuser toutes les invitations de telle ou tel parvenus.
Lucy se fâchait un peu. "Mais moi, qu'est-ce que je suis, moi ?".
" Tu es Lucienne de Carpentras, une autre Gabrielle d'Estrées."
L'un d'eux sifflote une chanson. C'est sa manière de dire qu'il est là. Tout les soirs, la même chanson. Un vieux tube des années trente " I shall walk in your back on your wedding day". Je marcherai pas à pas, dans ton dos, le jour de ton mariage...
Je porte en moi des angoisses indélébiles que seule l'encre bleu roi peut mater : les angoisses ne supportent pas le miroir de l'écriture.
Luc rêve d'un jour où il oubliera tout cela, son enfance. Les draps de l'oubli sont noirs. Les draps des pages sont blancs puis bleus : faire le beau voyage de l'écriture. Se délivrer.
Rasky l'observe : Est-ce la même infirmière que la veille, ou bien l'avant-veille ? Rasky confond toutes ces poupées blanches, bien amidonnées, bien maquillées, aux voix suaves et lointaines. S'en irait il déjà ? Aurait il déjà franchi les premiers caps, rompus certaines amarres ?
- Ne bougez pas, je vais vous faire une intra.
L'infirmière se penche.
- Vous avez des veines tellement fines, tellement capricieuses. Vous étiez capricieux, enfant, n'est-ce pas ?
Silence.
Rasky se dit en lui même qu'il a toujours été un enfant. Puis il ferme les yeux et se dit qu'il voudrait ne plus voir que des infirmiers pour le soigner.
Il me demande la permission de se mettre torse nu. Il est couvert de cicatrices, labouré de cicatrices, sur le ventre, dans le dos, sur les bras.
Ce n'est pas un lycéen que j'ai dragué à la sortie d'un lycée, mais un boucher, avec un cartable bourré de couteaux.
Dans la forêt des poils de Carlos il s’enfuit, il court, heurte une branche basse, le sang l’aveugle, il appelle sa mère et sa mère, très loin de lui, chante la chanson du cœur, le fado qui dit et redit un mot, un seul, celui qui dit tout, quelque chose comme Saodadj, je suis seul et plus rien ne me retient à rien.