La maison de Cicine

Sur ce sol béni, les minarets poussaient plus rapidement que les mauvaises herbes sur de la bonne terre.

il était dit, quelque part dans la saint Coran, ou peut-être dans le Hadith, qu'une bonne action accomplie dans la discrétion en vaut mille !

Les estivants continuaient leur baignade hystérique sans prêter attention à ce qui se passait au-dessus de leur tête. C'est, paraît-il, une caractéristique des gens de la ville : leur vie étant exclusivement tournée vers la terre, ils ne regardent jamais le ciel ; et quand bien même ils le regarderaient, ils n'y comprendraient rien, la lecture de cette partie de l'univers ne faisant pas partie de leur éducation.

Jamais, ni à Tiouli ni à cent lieues à la ronde, on n'avait vu une mule, bête normalement stérile, mettre bas. À présent que cela était advenu en plein jour, et au beau milieu du douar de surcroît, les gens devraient se tenir sur leurs gardes : les croyances du pays voulaient, veulent encore, qu'une mule qui pouline et la venue au monde de siamois sont les signes avant-coureurs d'une grande calamité ; c'est aussi sûr que les nuages annoncent le mauvais temps, sans compter que cela s'était vérifié à maintes reprises dans les régions plus ou moins lointaines.

Comme les mauvais artistes finissent souvent par devenir de simples artisans, les mauvais fkihs se convertissent toujours en voyants, guérisseurs ou autres charlatans, gagnant ainsi aisément leur pain en manigançant des philtres d'amour, des amulettes et autres talismans.

Une énigme. Un mystère. Il chercha pendant un temps à l'élucider. En vain. Il chercha de nouveau. Chercha encore...Enfin, fatigué de n'avoir rien trouvé, il renonça en se disant, comme disent tous les hommes chaque fois qu'ils n'arrivent pas à comprendre certains comportements féminins : "Quelles créatures mystérieuses , les femmes !"

Cette terre n'a plus rien à donner à ses enfants, sa baraka s'est épuisée, elle est désormais une nourrice aux seins taris.

Chez les vieux mâles, les regards polissons étaient surtout attirés par le membre pendouillant entre leurs cuisses défraîchies, tel un saucisson pourri.

Convaincu que depuis que le monde est monde, les agents de l'autorité se nourrissait des pauvres gens comme lui, le meunier acceptait son sort comme on accepte le mauvais temps, avec un fatalisme de vieux derviche.

Dar Louriki était l'une de ces vieilles demeures de la médina que se disputent aujourd'hui, à coups de millions de dirhams, les Européens férus d'exotisme. Aussi vaste qu'un ryad, la maison comptait tout ce dont un ménage traditionnel a besoin pour vivre avec un maximum d'indépendance vis-à-vis du monde extérieur : un puits, un garde-manger, un lavoir à linge, un moulin manuel, un four à pain, un hammam, un grenier à céréales.