- Je vois, dit Guillerma. Ces négociations, ça dure depuis combien de temps ? Pour vous partager le monde ?
- C'était tout le temps.
Il croise les bras, retrouve sa position de combat. C'est sa préférée, on dirait.
"Vous êtes très puissants, ton frère et toi. Comme des dieux. Mais honnêtement, je crois que tu as fait une mauvaise affaire." Il secoue la tête. "Tu dis que tu es triste, c'est peut-être à cause de ça. Ni soleil. Ni arbres.
- J'ai aussi perdu l'océan et les étoiles, dis-je.
- C'est affreux, commente-t-il, les yeux écarquillés à l'intérieur de son masque d'argile. Tu être très mauvaise négociatrice. Prends un avocat, la prochaine fois." Il y a une pointe d'amusement dans sa voix.
Je lui souris. " Mais j'ai gardé les fleurs.
- Encore heureux", dit-il.
Au cas où vous vous poseriez la question : non,
les trèfles à quatre feuilles trafiqués à la colle, ça ne marche pas.
Quelle force mystérieuse nous pousse à dire le contraire de ce que chaque cellule de notre corps voudrait qu'on dise ?
Chaque enfant est un artiste. Le problème, c'est de le rester en grandissant.
Je me retiens de lui rétorquer : "Et toi, avant, tu étais un artiste, tu aimais les garçons, tu parlais aux chevaux et tu faisais passer la lune par ta fenêtre pour me l'offrir à mon anniversaire."
- Qu'est-ce qu'on cherche ?
- Des débris de l'espace, me rétorque-t-il comme une évidence.
Le ciel nous tombe dessus en permanence. Tout le temps. Tu verras.
Les gens ne sont même pas au courant.
"On courait sans le savoir les uns vers les autres. Certaines personnes sont peut-être faites pour habiter la même histoire, quoiqu'il arrive." p.461
Mais peut-être que chacun de nous contient plusieurs personnes, en réalité. Comme des strates supplémentaires qu’on se rajoute en permanence. Et qu’on intègre en soi chaque fois qu’on fait des choix, bons ou mauvais, qu’on rate quelque chose, qu’on progresse, qu’on perd la tête, qu’on retrouve ses esprits, qu’on se sépare, qu’on tombe amoureux, qu’on fait son deuil, qu’on grandit, qu’on se retire du monde, qu’on se jette dedans à corps perdu, qu’on fait des choses et qu’on en détruit.
Mon expérience du portrait m'a appris qu'il faut regarder quelqu'un pendant longtemps pour déceler ce qu'il cache en lui, pour voir à l'intérieur de son visage. Et lorsqu'on met le doigt dessus et qu'on le restitue sur la feuille, c'est ce détail qui trouble le plus la personne et qui lui fait dire que son portrait lui ressemble vraiment.
Je ne sais pas comment c'est possible, mais c'est vrai :
un tableau est à la fois exactement le même et entièrement différent chaque fois qu'on le regarde. Entre ma sœur et moi, maintenant, c'est pareil.