Love me doux

Comment cet adolescent longiligne a-t-il pu devenir cet hommes baraqué et hirsute, cette force de la nature ?(...) Oui, OK, mais là c'est pas pareil. C'est Matias ! Mon premier amour, en quelque sorte. Bon d'accord, un amour unilatéral. Lui en pinçait pour la belle Laure. Bien. Mais quand même, il m'a embrassée moi, hein ? Ça ne s'oublie pas si vite !

C'est en fredonnant, Love, love me do, que je continue mon inspection générale.

Une musique qui remonte d'un coin secret et tendre de ma mémoire a envahi la maison. Matias est en train de faire du café en écoutant Love me do, des Beatles. Je me sens comme dans un rêve.

Comment a-t-elle pu se transformer en cette snob autoritaire, arrogante ? Benjamin avait raison. Elle est imbuvable. Comment vais-je pouvoir honorer la promesse que j’ai faite à Émile ? C’est mission impossible ! Donner le goût du retour aux sources à une fille dans son genre ? En bottes Hermès ?

Alors, même si à présent il ne possède rien de ce qui m’attire habituellement chez un homme, c’est-à-dire, l’exquise courtoisie, le raffinement, la subtilité, la culture, la douceur, tout ce qui fait un gentleman à l’anglaise, comme Edward… Il n’empêche que… C’est Matias…

C’est le moment que choisit Angie, sa chienne, pour me sauter dessus. Au secours ! Oh non ! Mon manteau ! La valise rayée, les bottes crottées et maintenant le manteau maculé de terre, comment je vais faire, pour rattraper ce désastre, moi ?
Je hurle, soudain hors de moi.
On dirait que plus je crie, plus la chienne croit que je joue. Elle devient super excitée, se met à sauter tout autour, grimpant de plus belle sur moi pour essayer d’atteindre mon visage, de me lécher. Elle a le syndrome de Rantanplan ou quoi ?

J’ouvre la porte pour découvrir ma place occupée par un énorme chien blond-roux, plein de poils, qui semble vissé au siège, affalé dans les grandes largeurs. Il me regarde avec une lueur d’espoir dans les yeux, sa queue se balance avec entrain et il entreprend de me lécher les mains dans une opération de séduction canine. Manque de pot, je ne suis pas sensible à ses arguments.

Sa main effleure la mienne sur la poignée provoquant une décharge électrique qui nous fait sursauter tous les deux.
Il soulève ses lunettes noires et me lance un regard moqueur comme si j’étais responsable de ce phénomène. Après tout, ça arrive parfois quand l’air est chargé d’électricité, non ?
Pendant ce court instant où il me fixe avec dérision je ne peux m’empêcher de remarquer la couleur de ses yeux. Ils sont bleu-gris comme l’orage, profonds, pénétrants. Je me sens soudain troublée, déstabilisée et je saisis ma mallette et mon sac en me dirigeant vers le hayon arrière.
– Vous avez bouffé un transformateur triphasé ? me demande-t-il en casant mon bagage dans la partie break de la voiture, encombrée de matériel agricole.

Un homme hirsute, coiffé d’un ridicule bonnet vert et rouge, avec sur le nez des lunettes noires, jaillit du siège conducteur et se précipite vers moi comme s’il allait me prendre dans ses bras et m’embrasser. Outre le fait que les habitudes anglaises ont déteint sur moi, depuis le temps et que je ne fais jamais de bises, il y a quelque chose que je n’arrive pas à connecter dans ce qu’il se passe.

D’un, ma mère a quitté mon père un soir de réveillon de Noël et elle m’a ensuite trimballée partout avec elle sans me demander mon avis. Elle est partie en douce alors que mon père avait tout préparé, ça a brisé notre bonheur familial. Jusqu’à ce jour, j’étais très heureuse et j’adorais fêter Noël.