Ismaël lisait. Sur les vitres, la glace avait tracé des dessins de forêts merveilleuses, des dentelles compliquées, des plantes et des fleurs de songe ; rien n’était comparable à la douceur, au silence de cette chambre close où vivaient les livres.
(Folio junior, p.61)
Jusque-là, il avait regardé la nature et les hommes avec ses yeux à lui, et traduit ce qu'ils lui disaient tout bas par ses paroles à lui, et voilà qu'entre le monde extérieur et son âme se glissait le perfide miroir déformant de l'âme d'autrui.
Son génie avait il été une espèce de morbide fleur, éclose seulement parce que sa vie avait été violente, excessive, malsaine ? Avait elle besoin pour s'épanouir de la trouble atmosphère des cabarets du port, de l'excitation du vin, des caresses ?
C’était trop monstrueux, injuste à la fin, d’exiger de lui qu’il eut du génie.
Il avait perdu l'éphémère royauté enfantine.
- Mes chansons sont bien plus belles. Elles sont pour toi. Seulement pour toi, Princesse. Après, personne ne les entendra plus.
- Et bien chante ! dit-elle doucement.
Autrefois, il avait été un enfant prodige ; à présent, il n'était plus qu'un garçon gauche et stupide comme les autres ....
Le papillon volait vers Ismaël. Alors le petit jeta le papier et le crayon et, les joues en feu, avec un cri léger, barbare et naïf, il s’élança à sa poursuite. Et depuis ce jour, il cessa d’écrire.
Il commençait à éprouver quelque chose de jamais ressenti, une joie de vivre simple, saine et profonde, qui était pareille au plaisir de boire, quand on a soif, l’eau froide du puits, de dormir au soleil, sur la terre jaune et parfumée de juillet, de courir à perdre haleine, sans but, dans l’herbe, tandis que le vent fouette les cheveux en désordre.
(Folio junior, p.58)