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Citations sur La Série guyanaise (9)

Devant eux, comme un éclat d’obus : un amas de sable retourné en tous sens. Une ponte de tortue, pas de doute possible. La rousse sort son mètre, mesure le site. Un mètre cinquante. Pas mal ! se dit-elle en pestant contre la tige rouillée qui refuse de rentrer dans son boîtier. Elle range l’outil dans sa poche, se redresse pour observer l’ensemble du nid. Les traces viennent et repartent vers l’océan, symétriques, parcourues par un sillon profond.
— C’est une luth ?
Évidemment.
— Une grosse, complète-t-elle pour débuter l’initiation du pseudo-rasta. Elle est arrivée par là. Elle a commencé à déblayer par ici, s’est déplacée vers ce point. Puis elle a creusé. Elle a pondu, rebouché le trou, brouillé les pistes en projetant du sable partout et elle a rampé vers l’eau par cette trace. Prends une photo.
(Ce qui reste en fôret)
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Il y avait là trois corps inertes qu’on aurait pu croire seulement endormis.
Anato s’approcha de madame Apanga, allongée sur un matelas en mousse, les mains réunies sur son torse en position de gisante, habillée d’un tee-shirt rouge quasiment neuf. Un mètre soixante au maximum, elle avait un corps tout en muscles, avec des bras épais des épaules aux poignets. Une silhouette courte, mais massive, presque masculine. Des mains de travailleuse aux paumes râpeuses, aux ongles abîmés. Seul le vernis argenté sur les ongles de ses pieds apportait une touche féminine à la défunte.
Son visage dégageait une émotion troublante. Une sorte de fierté austère. Des petits yeux resserrés autour d’un nez droit. Une bouche étroite et sèche, comme prisonnière de deux rides verticales et d’une fossette au menton. Six grosses nattes de cheveux gris rampaient vers l’arrière de son crâne. Une figure digne et triste, qui semblait n’avoir jamais souri. Difficile d’estimer son âge. Quarante ans ? Peut-être moins. La vie sur le fleuve pouvait faire vieillir prématurément.
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Vous n’avez aucune idée de ce qui a pu les tuer ?
– Vous savez, les Alukus disent que l’on peut mourir de rien, en un instant. Ils pourraient vous raconter des dizaines d’histoires de ce genre. Des enfants, des adultes qui sont en pleine forme le matin et qui tombent raides morts l’après-midi, juste comme ça. Je n’ai jamais cru à ces histoires : j’ai connu beaucoup de décès malheureux sur le fleuve, mais j’y ai toujours trouvé une explication médicale.
– Sauf pour ceux-là…
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– Famille Apanga, reprit le médecin en soulevant de la main une moustiquaire. Thélia, la mère, et les deux gamins : Justin et Tobie. Pauvres gosses.
– C’est vous qui avez constaté le décès ?
– Oui. Et c’est moi qui ai demandé au gendarme de faire appel à une équipe de Cayenne. Ce n’est pas clair comme mort. Vous n’avez pas emmené le légiste ?
– On l’a prévenu, mais il est difficile à mobiliser, surtout pour monter sur le fleuve. Il ne sera pas là avant demain, à mon avis.
– Qu’il fasse vite. Ça va bientôt empester là-dedans.
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Comment une famille entière avait-elle pu ainsi s’effacer, en une nuit seulement ? se demanda-t-il. Quelle avait pu être la vie de cette femme ? Une vie de labeur, se prit-il à imaginer, entre fleuve et forêt, faite de précarité et de sacrifices pour élever deux enfants. Assez pour user une femme, pour lui creuser des rides, lui casser le dos, lui détruire les mains en quelques décennies. Anato se remémora avec tristesse le visage de sa mère, qui aurait pu ressembler à celui-ci si elle et son père n’avaient pas choisi de quitter la Guyane pour s’installer en métropole. Il tentait de rattacher le village, l’intérieur de cette maison à ses souvenirs d’enfance. Ses parents avaient-ils habité un jour dans une baraque en bois comme celle-là ? Avait-il lui-même passé ses premiers mois sur un tel plancher poussiéreux ? Dans sa mémoire, tout restait trop lointain, trop flou pour permettre un rapprochement.
(Les hamacs de carton)
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Sous un ciel brûlant où courait une meute de nuages boursouflés, la pirogue de la gendarmerie remontait le Maroni pour gagner Wetisoula, un village aluku. Trois décès suspects, aux dires de la compagnie de Saint-Laurent-du-Maroni.
(Les hamacs de Carton)
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Rouge, orange, jaune, vert, bleu, violet. Le lieutenant Pierre Vacaresse eut beau se réciter plusieurs fois la liste, il ne parvint pas à retrouver la septième couleur. Un genre de mauve, peut-être ? Il se souvenait pourtant bien avoir révisé la leçon avec son fils, quelques années auparavant. De même qu’il avait à l’époque presque compris quel phénomène permettait de faire émerger tant de nuances d’une simple goutte d’eau. Une histoire de réfraction de la lumière ou quelque chose comme ça. Devant le petit arc-en-ciel apparu à l’avant de la pirogue, il mesurait son ignorance.
Deux bancs derrière lui, le capitaine Anato se tenait droit, immobile, les yeux rivés sur la berge surinamienne où le fleuve et la forêt se disputaient une frontière imprécise. L’eau s’introduisait entre les arbres pour inonder les rives, la végétation se déployait au-dessus du fleuve.
(Les hamacs de carton)
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Impatient de retrouver Tobie, Barnabé interrogea sa mère qui se contenta de hausser les épaules en grognant : elle se moquait de savoir où avait encore filé la famille Apanga et ne voulait rien avoir à faire avec ces gens ! Les deux mères ne s’aimaient pas, Barnabé le devinait sans comprendre l’origine de leur différend. Il en était ainsi, voilà tout. Elles ne se parlaient jamais, s’évitaient lorsqu’elles se croisaient.
Mais Barnabé savait que Tobie n’était parti nulle part. S’il avait dû quitter le village, il le lui aurait dit, à coup sûr. Il se rinça intégralement, sécha ses cheveux sur le paréo de sa sœur, esquiva la gifle qu’elle tenta de lui asséner, puis se mit à la recherche de son ami.
(Les hamacs de carton)
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— Z’êtes le… le patron ici ?
Si un parpaing avait été doté de parole, il aurait sans doute eu cette voix. Laborieuse. Aride. Minérale. Le capitaine André Anato sursauta, recula, main sur la bouche, jugea la silhouette camouflée contre le béton. Du haut de son mètre quatre-vingts, l’homme le dévisageait, les yeux perdus au milieu d’une face poussiéreuse, d’une masse de barbe floue et de cheveux agglomérés. Ses vêtements déchirés pendaient comme de longs poils verdâtres. Sous ses pieds crevassés, des chaussures artisanales, deux morceaux de pneu ligotés par des cordons crasseux. Le clochard tenait entre ses doigts noirs une bouteille en plastique percée d’un tube de stylo à bille, prêt à dégainer son caillou de crack. Une odeur sale suivait tous ses mouvements. Comment un homme pouvait-il atteindre un tel niveau de dégradation ?
Anecdotique vingt ans plus tôt, la toxicomanie se répandait comme une épidémie dans le département, cannabis, cocaïne et crack en tête. Chaque soir, une bande de junkies errait autour des camions-snack de la place des Palmistes, la main tendue. Merci pour votre contribution à notre projet d’autodestruction ! On les retrouvait à hanter les rues de Cayenne, hagards, beuglant leur dialecte d’un autre monde. D’un monde qui faisait peur, du monde de la précarité, de l’insécurité. Mais d’un monde qui gagnait du terrain.
Le gendarme et le mendiant se jaugèrent un instant. Le contraste était saisissant. Crâne et menton rasés de près, la stature haute, Anato prenait soin de son allure. Que veux-tu ? interrogea-t-il du regard. Je n’ai rien pour toi. Pourquoi ce toxicomane avait-il élu domicile à trois mètres de l’entrée de la caserne ?
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