Quatorze mois après l'attaque russe censée « remettre de l'ordre rapidement », l'enlisement est total. La solution politique préconisée par le président Vladimir Poutine depuis le printemps n'a porté aucun fruit. Fait rare et nouveau, sur place les militaires ne cachent plus leur déception. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : depuis le 1er octobre 1999, date du début de l'opération, 90 000 fédéraux sont censés « en finir » avec les « bandits » et les « terroristes » qu'il est même permis, selon le langague cru – mais apprécié des Russes – du président Poutine, d'« aller buter jusque dans les chiottes ».
Quant aux jeunes, ils se considèrent comme « sans avenir ». Comment, dans de telles conditions, ce peuple peut-il continuer à vivre simplement et paisiblement, en coopération avec les forces qui l'oppriment et qui ne donnent aucun signe de vouloir modifier leur attitude, renforçant au contraire le sentiment d'humiliation parmi les Tchétchènes ? La notion de « dignité humaine » a disparu. Partout, jusque chez les plus jeunes, prévaut un désespoir teinté de cynisme.
Pourquoi le Kremlin, qui aime à se comparer à l'administration américaine pour ce qui est de son droit à mener une guerre « juste » contre les « terroristes », pour la façon dont elle encadre les journalistes désirant se rendre sur place, pour la propagande qui entoure chaque événement émaillant ce conflit, pourquoi ce gouvernement ne parvient pas, en suivant justement l'exemple de l'armée fédérale américaine, à capturer les chefs de guerre les plus influents de Tchétchénie, avec lesquels il refuse de négocier ? Peut-être parce que d'aucuns trouvent avantage à ce que les sales profits engendrés par la guerre continuent d'être engrangés.
Au plus fort des combats, à l'automne-hiver 1999-2000, j'ai vécu un enfer. Avec la peur qui oblitère tout autre sentiment, l'angoisse qui rend la bouche sèche. Mais aussi la solidarité à l'égard de dizaines de personnes inconnues avec qui j'ai partagé des moments uniques. Parfois même, des instants de bonheur quand j'avais tout à coup l'impression d'être en sécurité ou parce qu'une tasse de thé brûlant gentiment offerte par des anonymes me réchauffait. La fatigue, aussi, après de longs kilomètres par des chemins de montagne ou à travers des plaines dangereuses, la nuit, au milieu des positions russes.