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Critique de chris49


L'auteur nous apprend dans sa préface qu'après l'avoir délaissée, il renoue avec la poésie.
Un échange avec un tiers lui en a insufflé le désir, que semble confirmer la naissance du premier poème — de l'aveu même de l'auteur, ce retour est vécu comme un rapprochement avec soi et comme un « ravissement ».

C'est donc avec ce premier texte fondateur que s'ouvre le recueil de trente-quatre poésies, « sans majuscule ». C'est très probablement aussi ce texte qui a façonné les autres poèmes, leur contenu, la couleur lyrique, la visée et le principe poétique formel, dont il est annoncé qu'il sera résolument tourné vers la musique.
Quant à la forme, pour en dire plus, elle est celle du vers libre, sans ponctuation, sans majuscule. Sans titre, les poèmes sont numérotés.

« reste
il y a le brouillard tous ces nuages
reste te dis-je même si le ciel était d'azur
les feuilles mortes pourrissent sous la neige
je n'ai plus de fleurs à t'offrir

Dès l'incipit, le lecteur partage la délectation de l'écrivain devant la prosodie qui, de texte en texte, va fleurir sous ses yeux.
« reste… » nous commande le poème. « Nous », dis-je, car on se sent appelé par cet impératif et prêt à recueillir cette prière murmurée comme une supplique adressée au lecteur.
Ce dernier ne demandera pas mieux que d'entrer plus avant dans ce jardin de fleurs, tant celui-ci est frais, tant il s'ouvre sans manières, sans poses, mais selon un projet authentiquement révélé.

Dès le deuxième poème, le lecteur comprend en effet que les trente-quatre poèmes sont l'émanation d'un vécu. Poème de l'existence, monde de l'observation, de l'apprentissage, et, somme toute, de l'expérience humaine, de l'épreuve de la vie…
« reste »… entend-il d'abord.

Puis :

« le poème n'est pas fiction […] »

« […] tout ce qui suit a été vécu et éprouvé (confie l'auteur dans sa préface) : le fleuve près duquel je vis, le quartier d'Uccle (très en pente) de mon enfance, mes voyages (Rome, Épi¬daure, Paris, Compostelle, Dublin, Samarkand...), mes lectures (Jorge Luis Borges, Ulysse, Voltaire, Érasme, Rabelais et ses géants...), mes premières amours (près du moulin à aubes ou dans une église) etc… »

Poésie de l'intime, aux inflexions amères (« le poème est un drame »), ou ensoleillées et lyriques (« le pain nourrit et renaît / chaque matin chez le boulanger »), non exempte ni des vicissitudes ni des inquiétudes sur le futur de l'Homme, voilà où se tient ce recueil qui exalte la beauté et le concret de la vie.

Il est fort juste et inspiré, cher Thierry Noiret, ce retour en poésie !

« déchiffrer l'alphabet cyrillique
déterrer la poussière
fouiller la décharge
de notre destinée
comme de vulgaires archéologues
creuser le passé jusqu'à
sa première partition

que retenir des enfers
sous la grammaire trouverons-nous
l'entropie
ou une autre plage

il y a de l'ancien dans notre existence
les civilisations jettent des ordures
nous nous baignons dedans
rien ne peut nous en laver
encore moins la dernière pluie

chaque matin nous cuisons
de nouveaux oeufs nés de vieilles poules
chaque matin nous croyons
au matin
mais hier nous avale dès le premier
café
[…] »

*

Quelques mots pour finir sur la maison d'édition québécoise où est paru ce beau recueil.
ELP Éditeurs, que je salue ici, est une petite maison d'édition accueillante mais exigeante. Animée par deux écrivains de grand talent, Daniel Ducharme et Paul Laurendeau, c'est une maison qui défend la littérature, selon des critères très sélectifs, et dans laquelle l'auteur est assuré d'avoir été choisi. le soin apporté à la fabrication des livres est par ailleurs en tout point remarquable.
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