« Putain, comment j’ai fait pour naître ici ? On dirait que c’est un endroit qui n’existe pas. Pourtant, merde, c’est bien là que je vis. » (p. 10)
Alors j'ai essayé de savoir si elle pouvait lire dans mes pensées,j'ai pensé bleu. Elle ne l'a pas su. Elle ne peut pas lire dans mes pensées. Pourtant on dirait qu'elle y habite.
On est la lie de l'humanité. Des fions dans le trou du cul du monde. Pas moyen de partir, et de toute manière l'envie que se carapate chaque jour un peu plus.
On ne vit pas, on attend. Et on n'attend rien. Et quand on sort en crabe comme si on n'avait plus qu'une patte, on traverse la route sans regarder en riant ivres morts et en se tapant dans le dos mais c'est pour se donner du courage, pour qu'on se revoie demain, et tous on espère qu'elle va passer, la bagnole. Celle qui n'aura pas le temps de freiner.
Mais il y a pas de bagnoles par ici. Des camions pour la décharge juste. Ils vont, ils viennent, et eux et leurs chauffeurs il partent très vite pour oublier encore plus vite. Parce que le reste du monde doit-être fait de gens bien. Et qu'il n'y a que les connards qui s'échouent ici. Ceux qui n'ont pas de bol. Ou ceux qui y sont nés.
Putain, comment j'ai fait pour naître ici ? On dirait que c'est un endroit qui n'existe pas. Pourtant, merde, c'est bien là que je vis.
Il suffit d'une pinte pour ne plus trouver les gueules des autres trop connues, l'endroit trop puant et le soir si pareil à celui d'avant.
Manquait plus que lui, moitié humain, moitié neuneu, le fils de Martha et d'Horace. Un brave gamin qui passe son temps à creuser des trous avec tout ce qu'il trouve, bouts de bois, cuillères, et même ses ongles, ça il sait creuser, parfois plus d'un par jour, il est toujours quelque part à côté d'un trou, et quand il l'a fini, il reste assis à côté, ses grands bras dans ses manches trop courtes (...)
"T'as vu mon trou Villie?"
Il n'a jamais su bien prononcer mon nom.
« Les chiottes ne sentent même plus l’humain : ça prend tellement aux tripes qu’on préférerait que ça sente l’urine et la merde mais ça sent le malheur et ça sent rien. Que ça daube le rien. » (p. 9)
En cet instant je n'entends plus que le silence que l'absence de ricanement laisse flotter comme un trop plein de vide, et Blanca s'en va vers les baraquements et sa maigre silhouette semble se désagréger dans les brumes de chaleur comme si ses pas ne pouvaient que la mener nulle part, toute entière aspirée par la chaleur, extirpée d'une terre en crevasse pour se perdre dans les nimbes, sa jupe en oriflamme pâle comme des ailes qui s'élèvent, légères, pour disparaître toujours plus haut
Sam la tatouée me tire par la manche, ivre morte dans toute sa flasquitude, on dirait un zombie posant sa main à la fois sèche et gluante de chairs putrides sur mon avant-bras. Et on dirait qu'elle sent tout l'alcool qu'elle a bu depuis vingt ans, l'alcool il doit couler dans ses veines, c'est la seule chose qui fasse battre son coeur, pom pom, pom pom, des flux et des reflux de bière de whisky et de vodka qui parcourent sa maigre carcasse, ondes à la fois d'un simulacre de bonheur et de douleur, une belle sinusoïde de trucs extrêmes. Mais tout au fond de ses yeux loge autre chose, ce truc que jamais l'alcool ni rien n'arrivera à effacer et que pourtant elle cache tellement bien, tellement bien qu'elle même sans doute ne se souvient plus que c'est là.
Qu’est-ce qui se passe maintenant ? Je n’en étais pas sûr.
«Je crois qu’il suffit tout bonnement d’aller au bout de la route, au fameux virage… Par là où vous êtes arrivés. A l’exact endroit par où vous n’avez jamais pu sortir.»