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Critique de Tachan


A de rares exceptions, je fais une confiance aveugle à ce nouveau label des éditions Pocket : "Les étoiles montantes de l'imaginaire" qui très souvent fut un dénicheur de pépites et autres belles plumes pour moi. Ici avec Rouge, je partais en plus confiante, ayant lu auparavant l'avis plus qu'enthousiaste d'Audrey qui m'avait déjà conseillé il y a peu le dieu dans l'ombre duquel je rapproche ce titre et qui avait été un coup de coeur.


Les revisites de contes, cela a toujours été mon dada, aussi bien en roman qu'en album jeunesse, enfin surtout en album jeunesse, car les romans, eux m'ont parfois déçue dans mes attentes. J'aime quand les revisites se font dans soit dans des ambiances très drôles et décalées, soit dans un fantastique sombre et un peu effrayant. C'est ce dernier choix qu'a fait Pascaline Nolot ici et j'en fut ravie.


Il faut dire qu'on avait déjà quelques indices avec les couvertures inquiétantes des versions poche et grand format, mais en plus dès qu'on ouvre le volume, nous sommes accueillis par les mots percutants de Charles Perrault : "Rien au monde, après l'espérance, n'est plus trompeur que l'apparence.", et ceux très sombres de Pascaline qui vont donner le ton de son histoire : elle sera riche, sombre, mordante et entêtante !

"Rouge. Les babines se teintèrent d'écarlate tandis que les crocs lacéraient la viande. Enragées par les gerbes de sang qui jaillissaient des chairs à vif, les mâchoires broyaient les os sans pitié et les panses affamées se gavaient."

Rouge c'est l'histoire implacable de femmes dans la décor ancien et patriarcal d'une ancienne ruralité où tout était sujet à mysticisme. On y fait la connaissance d'une enfant qui fut appelée Rouge à cause la tâche qui occupe la moitié de son, pourtant, beau visage. Rejetée de tous, sujet d'opprobre et de moqueries, voire de persécutions, elle sera envoyée, comme la tradition le veut dans la mystérieuse forêt bordant le village dès qu'elle aura ses premiers sangs et y fera alors des découvertes sombres et cruelles sur la société l'ayant envoyée là et son propre passé.

J'ai de suite été frappée par le ton très cru, sombre et violent de l'autrice, mais également poétique et émouvant, qui veut faire de cette histoire un récit coup de poing pour dénoncer un patriarcat certes ancien dans ce décor mais avec des relents très actuels. Pascaline va ainsi avec talent et brio mélanger inspirations moyenâgeuses et fantastiques avec défense du droit des femmes, et ce sera percutant ! L'histoire de Rouge, cela pourrait être celle de bien des jeunes filles et cela le fut et l'est encore. L'histoire de sa mère est encore plus représentative et c'est le drame qui me ravagea tout au long de l'histoire.


J'ai ainsi beaucoup aimé plonger dans cette sombre ambiance fantastique à l'ancienne, à l'époque où les contes pour enfants n'avaient pas été aseptisés par Disney mais revêtaient encore une belle cruauté nécessaire pour appréhender les dangers du monde. Ici, c'est avec un mélange du Petit Chaperon Rouge et d'Hansel et Gretel que l'autrice nous fait aller à la rencontre de Rouge, qui va se perdre en forêt et faire la rencontre d'une femme qu'on présuppose sorcière, le tout en compagnie de loups bien étranges, tandis que son petit monde, lui, est resté tranquillement au village à vivre sa vie campagnarde faire de mauvais tours, mauvaises langues, et moments heureux au détriment des autres. Mais surtout tandis qu'une vérité cachée se terre.

Le choix de double narration fait par l'autrice d'entrée de jeu fut fort judicieux. Cela apporta mystère et tension dès le début de l'histoire, mais aussi âpreté et sordidité, nous empêchant de lâcher le livre avant d'avoir compris l'ampleur de ce qu'il s'était passé. En nous faisant remonter les sources du drame et de la folie de la mère de Rouge, Pascaline Nolot nous prend aux tripes et nous les retourne littéralement car elle ose décrire et raconter l'indicible, et ce, sans prendre de gant. C'est pourtant malheureusement quelque chose de fort banal. le conte vient ainsi ici au service de la dénonciation tour à tour du viol des femmes, des mariages forcés de femmes, des persécutions des femmes différentes, mais aussi du caractère fallacieux de ces violeurs qui se croient tout permis à cause de l'impunité qu'ils reçoivent et des vrais héros qui sont bien souvent méconnus. C'est âpre, c'est sombre, c'est violent.

La mise en scène choisie par l'autrice fut une merveille de poésie fantastique pour moi. Elle a littéralement fait vivre ces lieux que traverse Rouge et qui vont participer à sa métamorphose, malheureusement pas forcément lumineuse et positive comme on l'entend habituellement, mais du moins éclairante : celle de la réalisation de ce que c'est d'être une femme dans cette société et des dangers encourus, ainsi que de la façon de se prémunir. Il y a un discours très puissant sur les femmes qui doivent apprendre à se défendre et se méfier seule car elles doivent pouvoir aussi compter sur elles-mêmes et pas seulement sur les autres et sur les hommes. L'utilisation de la forêt comme révélateur fut donc un élément qui m'a beaucoup plu. Source de peur mais aussi source de vie et de renouveau, l'autrice montre le voile qui la recouvre et la richesse cachée qu'on peut y puiser. J'aurais aimé parcourir ce lieu tellement imprégné de magie au féminin.

Il faut cependant vivre l'histoire de Rouge pour en ressentir toute la puissance. Elle est rude, elle fait mal. L'autrice ne nous épargne pas et ce ne sera pas une sinécure que d'assister à sa métamorphose de fille à femme. C'est plutôt un parcours du combattant où l'avertissement de Perrault sera toujours vrai : il faut se méfier des apparences. Mais une puissante beauté s'y cache et derrière les nombreuses épreuves vécues par Rouge, il est beau de voir une femme toujours prête à se relever et à se battre, sans jamais rien lâcher, apprenant à se faire confiance et à s'apprécier. Car il est également beaucoup question des apparences extérieures effectivement dans ce titre. On dénigre l'héroïne pour son apparence non conforme qu'on attribue au malin, comme actuellement quelqu'un de différent de la norme peut être moqué sur les réseaux sociaux et surtout une campagne à charge. Là c'était des maltraitances IRL, désormais c'est sur les RS, mais c'est la même chose ! Et pourtant, on sait bien qu'il y a de la beauté en toute chose, comme le démontre à nouveau l'autrice ici, mais cela a toujours besoin d'être montré.

Le seul défaut pour moi de ce roman, c'est qu'il manque peut-être un peu de nuances sur les hommes. Ce sont tous des pourritures dans ce titre, il n'y en a pas un pour sauver l'autre, même chez les loups. L'autrice semble avoir eu besoin de les rendre tous monstrueux, même ceux dont l'apparence - justement - ou les mots auraient pu nous faire croire le contraire. Je veux bien qu'on nous montre que derrière des belles paroles, un beau visage, un homme peut être un prédateur, mais qu'absolument tous les hommes de l'histoire soient mauvais, c'est un peu trop. SPOILER :

Je peste souvent sur les titres à destination de la jeunesse, mais ici l'autrice et son éditeur montrent qu'on peut leur offrir un texte puissant, intelligent et dur sans qu'on ait besoin d'édulcorer. Prévenir les jeunes des dangers de la vie passe par là. Édulcorer sans cesse, c'est passer à côté. En reprenant pour cela les contes, sources originelles de prévention pour les plus jeunes, l'autrice se place dans cette lignée fantastique éducatrice que j'aime tant. Son histoire est dure, rude, bouleversante, chamboulante, révoltante mais puissante et marquante. On ne l'oubliera pas. On n'oubliera pas l'histoire et le combat de Rouge et des femmes autour d'elle.

PS / Si vous avez aimé, l'autrice parle à nouveau des violences faites aux femmes dans le court texte Gris comme le coeur des indifférents chez ScriNeo cette année. A lire ;)
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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