Je suis bien embêtée. le fond est excellent, la forme… c'est une histoire plus inégale. Découvert tout à fait par hasard, je dois ce polar des glaces, cet Arctic Noir, au résumé alléchant et profondément noir. Me voilà lancée dans
La Fille sans peau, premier tome d'une série focalisée sur Matthew Cave, journaliste, et c'est le danois et groenlandais d'adoption
Mads Peder Nordbo qui en est l'instigateur. Pédophilie, misère et meurtres sanglants, voici ce qui nous attend. On sait d'emblée que la rigolade n'est pas de la partie.
Un élément qui sautera très rapidement aux yeux, et sera amené à le rester jusqu'à la dernière page : le style inégal de l'auteur, tantôt poétique et vif lorsqu'il s'agit de décrire, tantôt plat et monotone quand il s'agit de dialogues. On y trouve la description de terres immenses et insaisissables, de traditions encrées dans une population coupée du monde, de thèmes forts qui secouent et gangrènent des générations entières. Et, à côté, des dialogues sans saveur, ou très peu, où on a parfois l'impression de lire deux plumes différentes, et pas une seule. Un problème de forme plutôt que de fond, où l'on côtoie l'Histoire et les coutumes du Groenland, ses habitants chaleureux ou méfiants, prêts à oublier les douleurs du passé pour tenter de stabiliser un présent incertain ;
La fille sans peau se lit sur plusieurs périodes, lors d'une première enquête menée par Jakob, en 1973, et celle d'aujourd'hui, avec Matthew. Des chapitres courts et glauques, qui alternent les découvertes des uns avec celles des autres, les doutes affreux et la vérité qui vient à nous, doucement, très doucement, entrecoupée d'embuches tranchantes et de cadavres affreusement mutilés. Si l'écriture a ses défauts, la tension reste malgré tout présente, bien que parfois flottante et inégale, elle aussi. Ceci dit, à travers tout ce roman, l'auteur parvient à parler d'un pays avec maîtrise, on le sent calé sur ses sujets, et respectueux des thèmes et de la culture.
La forme qui ne passe pas, c'est une histoire de style, mais c'est aussi et surtout, une histoire de personnages. Ici, aucun des personnages n'a de caractère propre à lui, on pourrait tous les confondre. Matthew et Jakob, deux enquêteurs qui ont perdu quelque chose ou quelqu'un, en mal d'amour et de racines. Malik qui croit aux esprits, Ulrik en arrière, Lisbeth l'effacée, Leiff l'accueillant, Tuparnaaq la casse-bonbon (littéralement), et j'en passe. Comment ressentir de l'émotion et de la sympathie pour des personnages qui ne sont que des êtres d'encre et de papier, sans aucune autre profondeur que leur seul trait de caractère dominant ? Oui, certains ont des histoires larmoyantes, Matthew qui perd sa famille, Tuparnaaq victime de pédophilie, et pas qu'elle. Oui, c'est dur, glauque et affreux. Mais ça ne passe pas, les êtres d'encre ne disent rien d'autre. Ils ne sont qu'un trait, mince et transparent. Une caricature qui déstabilise complètement l'équilibre entre le fond et la forme.
Outre les deux époques et les deux enquêteurs qui doivent résoudre des meurtres violents commis sur des suspects de pédophilie et les crises de misandrie de Tuparnaaq, qu'en est-il du fond de l'intrigue ? Glaçante et emplie de malaise, de cauchemars et de désespoir, quelque chose qui ne laisse pas indifférent, contrairement au méli-mélo des personnages. Et c'est là que le style est inégal entre ce qui est écrit et ce qui émane de l'atmosphère. Certaines phrases, certains passages sont morbides, ignobles, sanglants. Mais ils sont aussi faits pour que le lecteur ne détourne pas les yeux, même si la scène est oppressante. Ne plus fermer les yeux sur un fléau qui touche une bonne partie de la population, qu'elle soit féminine ou masculine.
La fille sans peau, c'est donc la quête de la vérité, avec un goût amer lorsqu'on se rend compte de ce que sont les victimes, et de ce qui se passerait si on venait à arrêter le bourreau. Qui est victime, qui est bourreau, la frontière est très mince dans ces eaux glaciales. Dénouements inattendus, peut-être même tordus, avec quelques sourcils levés, dubitatifs, ou des yeux en forme de soucoupe ! On regrette quelques clichés usants, du genre un meurtrier qui ne pense qu'à violer sa prisonnière alors qu'il est sur le point d'être attrapé, ou la dure à cuire qui veut casser des noisettes parce que les hommes sont vilains pas beaux méchants et le blabla habituel. Avec un personnage tel que Tuparnaaq, le potentiel était fort, dommage que le cliché l'ait emporté sur cette chasseuse de phoques déterminée, ça ne lui rend ni justice, ni service.
Ce premier tome est une mine d'informations et de descriptions sur un pays dont on sait peu de choses lorsqu'on ne le regarde pas. Un roman qui en dit beaucoup avec son intrigue, et hurle sa révolte, sa demande au monde entier, celle de ne plus fermer les yeux sur le fléau que vivent des générations épuisées par la pauvreté et le peu de perspectives réjouissantes dans un pays lointain. Sans être transcendant, mais sans être barbant non plus, quoi qu'on en dise sur certains personnages irritants,
La fille sans peau appelle bien à une suite, et elle sera lue, promis !
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