Le sacré
C'est quand tu es légère
Et pousse au vent
Le crépitement d'un
Feu de nuque
C'est quand
Je ne demande rien
Et que tu donnes
Lorsque tout est miracle
Ici
Et que je suis du doigt
Le cours de ta rivière
Michel Joiret
La langue la plus belle
Est ton visage
A la lumière de la lampe
Tes cheveux montent
Dans le soir souverain,
Les draps nous occultent
La lune qui sourit.
Il m'arrive de ne plus
Me reconnaître
Quand se perd
Dans la saveur de toi
Mon corps
Transfiguré par toi.
Christophe Van Rossom
Je n’ai pas dit
Je n’ai pas dit ce que tu dis,
Tu n’as pas dit ce que je dis.
Et, pourtant, nous avons souri,
Comme si on s’était compris.
Je ne sais pas ce que tu sais,
Tu ne sais pas ce que je sais.
Et nous savons bien cependant
Ce que chacun pense en dedans.
Je ne fais pas ce que tu fais,
Tu ne fais pas ce que je fais.
Mais ce que nous faisons à deux
Touche toujours au merveilleux.
Parfois j’ai soif quand tu as faim
Et, parfois, faim quand tu as soif.
Mais nous partageons, chaque soir,
Le même vin, le même pain.
Je ne lis pas ce que tu lis,
Tu ne lis pas ce que je lis.
Mais l’amour peut lire, à toute heure,
La même chose dans nos cœurs.
(Maurice Carême)
Dans la maison vide
mes gestes allumés le soir
se dédoublent aux vitres .
Il n'y a pas de bruit
mais des signes mouvants
dans les portes reflétés.
Tu es là peut-être
au-delà du carreau
de l'autre côté du mur
de l'autre côté de la vie.
Marie-Claire d'Orbaix
Miroirs conjugués
Le ciel n’est beau que renversé dans le miroir
Liquide et l’eau n’est belle que remontée
Au ciel dans l’infini du soir
Ou le fini d’un jour recouvert de buée.
Deux visages, une même âme, et dans la mienne
Leurs reflets, astres morts ou vivants,
Poissons, étoiles, minerais, éclairs, à peine
Dans l’un et dans l’autre gouffre différents.
Le cœur n’est grand que répété
Par les échos d’un autre cœur tombé des nues,
Double gamme de sons mêlés et reflétés
Dont l’une monte et l’autre est descendue.
(Franz Hellens)
Il neige.
Des flocons frôlent le monde.
Il neige
comme on plonge dans le noir.
Il neige.
Ne pas la saisir.
Ou la perdre.
Brûlure
de braises
blanches.
Il suffit d’un flocon
au visage.
(Corinne Hoex)
Chaque poème a son envers,
transparent ou muet.
Tout ce qui est imaginable existe;
la poésie en est la preuve éclatante.
(Alain Bosquet de Thoran)
Un jour où le soleil sera très clair,
Un jour où tu auras cru désarmer les ombres,
C’est ce jour-là précisément
Qu’Elle fera son premier signe.
Et tu resteras les doigts joints
Sur la vie encore délectable
Et ton sourire survivra
À l’espoir qui l’avait fait naître.
Elle n’aura pas soufflé mot,
Tu n’auras frôlé que Sa robe :
Un coup de nacre sur les doigts,
Une fatigue singulière,
Et l’annonce d’un lendemain
Dépourvu de toute mémoire.
(Louis Dubrau)
Nos bouches boivent
la chair à la chair
nos bras carguent des ombres
indociles
nos mains s’attardent
sur nos rêves
terreuses
De son long glaive
un dernier rayon
éventre la neige
et nous givre
d’aube
(Jean Botquin)
Ciels d’Ostende
Être seul sur le brise-lame
alors qu’au loin, le ciel s’affaisse,
se donne des airs d falaise où se décalquent des bateaux.
Être seul sur le brise-lame
quand le lointain change de robe,
quand les nuages se dérobent et la nuit sangle le rideau.
Être seul sur le brise-lame
où le soleil jamais ne sombre :
il est la lumière de l’ombre et le linceul du jour sur l’eau.
(Pierre Coran)