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Critique de HundredDreams


Joyce Carol Oates est une autrice talentueuse avec laquelle je voulais renouer depuis quelques temps déjà.
J'aime son écriture incisive et émotionnellement intense. Par son style dense et poétique, elle a la faculté de nous emporter dans des histoires sombres et dérangeantes, en explorant de manière approfondie les aspects sombres et troublants de la nature humaine, tout en offrant une réflexion critique sur la société américaine contemporaine.

« je vous aime, pourries,
Délicieuses pourritures.
… merveilleuses sont les sensations
infernales,
Orphique, délicat
Dionysos d'en bas. »
D. H. LAWRENCE

Ce récit très bref, chargé émotionnellement, ne fait pas exception en nous immergeant dans une ville universitaire sans histoire de la Nouvelle-Angleterre des années 1970. Joyce Carol Oates se concentre sur une jeune étudiante brillante mais émotionnellement fragile, Gillian Brauer, obsédée par son charismatique professeur d'anglais.

« Ceci n'est pas une confession. Comme vous le verrez, je n'ai rien à confesser. »

L'antonyme du titre, les billets lus, les notes données m'ont fait hésiter et puis ayant lu et aimé « Blonde » et « Nous étions les Mulvaney », j'ai décidé de passer outre mes réticences et de lire ce roman en binôme avec mon amie NicolaK que je remercie.

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Tout commence en 2001, Gillian visite Le Louvre et dans l'aile consacrée à l'Océanie, elle aperçoit une sculpture aborigène impressionnante. Cette rencontre inattendue va lui faire revivre des événements traumatisants survenus vingt-cinq ans plus tôt, alors qu'elle était en troisième année d'étude universitaire.

Gillian se souvient ainsi d'un de ses professeurs, André Harrow, qui, sous prétexte d'apprendre à ses jeunes étudiantes à se libérer de leur prison émotionnelle et conformiste grâce à la poésie, va abuser de son statut de professeur. Tour à tour volubile et tyrannique, attentionné et froid, condescendant et ironique, il va jouer avec leurs émotions et leurs sentiments, les encourageant à se livrer de manière très sincère et intime dans des écrits pour mieux les séduire, les manipuler, les dominer, abuser de leur innocence.

« D'un point de vue technique, vos poèmes sont toujours intéressants, Gillian, mais… – sans en avoir conscience, semblait-il, il m'effleura le poignet de ses doigts, pour réconforter, consoler – … inaccomplis. Comme si vous aviez mis tous vos efforts à construire les barreaux d'une cage où un papillon s'est pris au piège ; le papillon bat des ailes pour être libéré, et vous ne le voyez pas. »

Gillian est un personnage un peu distant de par son caractère secret, réservé et introverti.
Amoureuse de son professeur, fascinée par sa femme Dorcas, artiste sculptrice, jalouse du statut privilégié de certaines étudiantes, Gillian va tout faire pour plaire et entrer dans l'intimité d'un cercle que le professeur a créé autour de lui.

« Il y a une règle cardinale dans mes ateliers : faire en sorte que je ne m'emmerde pas à mort avec vous. »

C'est à travers son regard naïf, son innocence sexuelle, ses désirs naissants, que se dessine ce drame intime qui laissera en elle de profondes blessures psychologiques.

« le jet de sang est poésie. »
« N'ayez pas peur, notait M. Harrow avec insistance sur mes poèmes.
Allez plus profond !
Cherchez le point le plus faible. Frappez à la jugulaire. »

Dans le dernier quart, le rythme s'accélère, l'atmosphère se tend, devient pesante et malgré tout fascinante et prenante. J'ai été incapable de lâcher le livre avant la toute dernière page.

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Malgré le format très court, 120 pages seulement, l'autrice n'hésite pas à apporter le soin nécessaire pour installer un cadre à son récit, celui d'une société rigide et patriarcale. Ces jeunes femmes solitaires, vulnérables, influençables et en manque d'affection sont des proies faciles pour des hommes dominants et charmeurs tels que André Harrow.

« Tu trembles comme un oiseau pris au piège. Ça aussi, ça me plaît. »

Par le biais de Gillian, Joyce Carol Oates examine les thèmes de la violence et de l'obsession, du désir et de l'amour, de la sexualité et de l'humiliation, de la manipulation et du pouvoir psychologiques. Son écriture sombre, intense, abrupte, percutante, implacable et dérangeante, explore de manière profonde et nuancée, les émotions de Gillian.
On ressent son envie désespérée d'être choisie et aimée, auquel se superpose son désespoir d'avoir été choisie et désirée, peut-être aimée.

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Si j'ai tout d'abord éprouvé une impression étrange de déjà vu, passé le premier tiers, l'autrice crée des personnages complexes, une tension dramatique, un suspense psychologique et une ambiance malsaine où se mélangent réalité, idéalisation et fantasmes, telle que je me suis sentie aspirer dans ce récit. Je me suis retrouvée spectatrice de ce jeu de séduction pervers, indécent, immoral, terrifiant et destructeur.

Ce que j'ai particulièrement aimé dans ce texte, ce sont les différents cadrages toujours sous la forme d'un triangle « amoureux » et la façon dont l'autrice suggère plus qu'elle ne dévoile.
Elle nous fait ressentir avec finesse et subtilité, la fascination de Gillian pour son professeur, la jalousie et la méfiance des étudiantes les unes envers les autres, les comportements déviants et répugnants de ce professeur.

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Pour conclure, malgré la violence psychologique et le caractère malsain qui en émane, "Délicieuses pourritures " dégage un magnétisme inattendu qui rend la lecture aussi troublante que fascinante.
Une intrigue délicieusement addictive et des personnages terriblement pourris que je vous invite à découvrir.
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