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Critique de jlvlivres



« Sans valeur » est un court texte de Gaëlle Obiégly (2024, Bayard, 140 p.) dans lequel la narratrice récupère des papiers, livres et photographies dans un tas d'affaires abandonnées, rue de Charonne à Paris. « Ma façon à moi de me l'approprier passait par l'imagination. J'inventais une histoire à la personne qui avait abandonné le petit tas d'ordures. L'histoire que je romançais était la mienne. Mais elle me plaisait davantage, elle était plus légère que ma propre histoire ». Puis, elle passe en revue ses trésors trouvés, ce qui l'amène à rejeter le petit tas d'ordures puis à s'en défaire. Les cahiers dans lesquels elle note ses trouvailles se révèlent impubliables. Ce sont « précisément ce genre d'écrits dont on raffole quand il s'agit des autres ». La récupération, dans les deux cas par des femmes écrivains, qui écrivent très bien. Et dont la transmutation des objets est un vrai plaisir.
Gaëlle Obiégly, qui entre temps, a coupé, puis laissé pousser ses cheveux, avait commencé une réflexion sur la valeur des choses avec « le Musée Des Valeurs Sentimentales » de Gaëlle Obiégly (2011, Verticales, 219 p.). Mais c'est un objet spécial dans la liste de ses livres. En effet, elle rencontre l'artiste autrichien Pierre Weiss en 2004, avec qui ils fondent WO et entreprennent des travaux littéraires et plastiques . Elle est actrice de la plupart des films de Pierre Weiss dont « L'événement qui possède l'homme » et « Dont la réalité s'impose » pour lequel Gaëlle écrit le script et qui est en fait une comédie musicale, avec un fond de musique joué par un guitariste.
On est au château « le Luxe » à un diner donné en l'honneur du sculpteur Pierre Weiss. Mais ce dernier n'est pas là, il a loupé la navette qui devait l'amener. Ce qui provoque une série d'accidents en chaîne, avant d'aboutir à une catastrophe générale. Il y aura cinq tableaux successifs pour cela. Il faut dire que le domaine du Luxe, tout comme la terre, « possède presque autant de pièces souterraines que de pièces au-dessus du sol ». de même que « L'histoire comporte autant de jours que de nuits ».
Retour à Gaëlle Obiégly, originaire de la Beauce, qu'elle raconte dans son roman « Gens de Beauce » (2003, Gallimard L'Arpenteur, 208 p.). On n'en retient pas grand-chose, sinon « sa campagne, champs de blé, labours, betterave à sucre au moment de la chasse.et les labyrinthes de maïs et de colza. le colza, jaune acide au mois de mai ». On nous fait miroiter la population d'Agaville, soit « quelques notables dont font partie les agriculteurs ». Mais, c'est tout. Il y a bien le notaire, il « est de tous les mariages ». Il y a surtout la terre « Tout tourne autour de ça, la terre ».
A Paris, lors d'une séance de jogging, elle est sortie « non lavée, les cheveux emmêlés sous une casquette, vêtue d'un caleçon long t d'un débardeur ». C'est alors quelle « avise sur le trottoir un petit tas d'ordure ». Elle récupère un cageot chez une marchande de fruits pour l'emporter chez elle et lui faire une place dans sa maison. Depuis, elle vit avec ce « petit tas d'ordure ». C'est comme pour le renard du Petit Prince, il faut d'abord l'apprivoiser. « J'inventais une histoire à la personne qui avait abandonné le petit tas d'ordures ».
Où l'on constate que l'on vit une époque formidable. On ne jette plus, on trie, on récupère, on s'en ressert. C'est devenu tendance. Même Eugene Mart, un canadien du Manitoba, s'y est mis dans « Ordure », traduit par Stéphane Vanderhaeghe (2021, Quidam, 112 p.). Pourtant il a été biberonné par Brian Evenson. Ce dernier, né mormon en 1966, d'une famille mormone depuis six générations, mais éjecté depuis et même menacé d'excommunication par la secte.
C'est l'histoire de Sloper, agent d'entretien pour le compte d'un grand immeuble de bureaux au coeur d'une ville américaine anonyme. Il récupère ce qu'il trouve dans le bureaux vides. « Si des poches étaient vides, tu pouvais t'en servir pour y glisser des burgers et des sandwiches. S'il n'y avait plus d'emballage autour du burger ou du sandwich, tu prenais une serviette en papier d'une autre poche située sur le tablier plastique. Et ce n'était pas un problème si un sandwich ou un burger était à moitié mangé ; les salades de pomme de terre, provenant de chez le traiteur situé dans le hall d'entrée, étaient servies dans des petites barquettes plastiques ; elles aussi entraient dans les poches. Donuts, bagels, cookies, galettes de riz, croissants et muffins, idem. Les gens ne finissaient jamais leur salade de pommes de terre ».
Il ne s'arrêtera pas là puisqu'il participe au débouchage du vide ordures, et y découvre le corps nu d'une employée, jetée à même la benne. Comme le jeune homme est seul, il embarque sa découverte. « Sloper ouvrit la porte et sortit un sac. le plastique se déchira et des ordures se répandirent sur le sol. Comme pour le punir, quelqu'un lui donna un coup au visage. Il lâcha le sac et fit un pas en arrière, sa vision brouillée. Lorsqu'il retrouva la vue, il distingua un bras pâle qui sortait par l'ouverture carrée – qui ne le frappait plus, qui ne faisait plus rien ».
Mais, un « déchet » n'est pas une « ordure ». Comme quoi, le tri préliminaire est une chose utile, tout comme le livre d'ailleurs. « Vous savez ce que mon père disait ? À propos des déchets ? de la philosophie à deux balles mais bon, il disait qu'on devrait se sentir jaloux. Il disait que les déchets étaient libres d'eux-mêmes, enfin affranchis de toute velléité humaine ».
C'est donc la même philosophie que pratique Gaëlle Obiégly, quoique elle « y voit plutôt une phobie, la peur de la mort » ou ce qu'elle nomme « Moïse sauvé de l'incinérateur de déchets », ce qui est bien plus joli.
On va donc suivre les divers objets du « petit tas d'ordure », dont un ticket du PMU périmé. Il y a aussi un carnet de notes ou journal intitulé « Une vie bouleversée » de Etty Hillessum, journal intime écrit entre 1941 et 1943, dont on ne sait plus trop si la pae provient du tas d'ordure ou d'un livre alors que Gaëlle travaillait à la Bibliothèque de France. le tout va finir dans des boites en carton kraft, qui ramollissent sous la pluie « jusqu'au petit-beurre trempé dans un thé à la maison de retraite où, enfant, on m'a emmenée faire des visites ». Raccourci stupéfiant des images de la déchéance des choses et des gens.
On en arrive à la création du « Musée des Valeurs Sentimentales » avec ses « amies Francesca Alberti et Stéphanie Fabre », référence non voilée à son livre éponyme. Livre « Achevé d'imprimé. A Clamecy le 2 décembre 2010 », avec « un dépôt légal en décembre 2010 ». Surtout avec son titre imprimé en majuscules sur trois lignes. C'est joli, cela fait marche d'escalier. Ce saucissonnage du titre en trois segments fait apparaître une progression régulière de lettres dans les mots du titre. On dirait une contrainte d'écriture oulipienne. Tout comme, il existe une contrainte d'écriture imposée par la reprise du dernier mot dans le début de la phrase suivante. En fait ce musée, c'est « un centre des archives pour ces objets tabous » ou objets que l'on ne veut plus « ni garder, ni jeter ».
On en arrive tout naturellement à la « collection Molina » de New York sur 99th Street East, à Manhattan. C'est là, dans un dépôt du quartier d'East Harlem que Nelson Molina, éboueur pendant plus de 30 ans à New York, a constitué une collection improbable « Treasures in the Trash » de plusieurs milliers d'objets ramassés lors de ses tournées. Il y a de tout, répertorié, remis en état et classé. Des paires de skis côté d'une tente indienne d'enfants, une bouée de sauvetage, d'authentiques vitraux d'église. Et pour les afficionados, une cravate à l'effigie de la série « Alerte à Malibu ». le « Metropolitan Hospital », propriétaire des lieux, voudrait les récupérer, forçant ainsi le musée à déménager.
Ainsi va le petit tas d'ordure.
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