Pour le moment tous étaient coincés ici, sous ce pont, dans ce camp de fortune au pied des tours, dans le roulement des pneus au-dessus d'eux, les klaxons, l'odeur d'essence et les vapeurs d'échappement, l'urine de chat et les rats. Ce qui était toujours mieux que le sifflement des bombes dans leurs ciels étrangers, la peur d'une descente en pleine nuit, le crépitement des kalaches et des uzis au coin des rues taillées dans la poussière. Ce qui était toujours mieux que les regards obliques qu'on vous dardait et l'humiliation inculquée à jets de pierres au motif d'être qui vous étiez, les menaces et les faits. Ici, on retrouvait le sourire, on gardait l'espoir et un sens de l'humour. Ainsi qu'une furieuse envie de baiser qui on voulait, parce qu'on restait jeune malgré tout.
Elle préfère crever à petit feu dans la rue que de gagner sa vie en passant sous tout le monde et s'avilir à assécher les gonades de types en mal d'amour parce que si les mecs ils ont besoin de contact et de chaleur et d'affection, et elle alors ? tu crois qu'elle en a pas besoin elle ? et t'as vu sa gueule qui c'est qui voudrait lui bouffer le minou même contre un peu de fric, hormis Dédé mon cochon, et encore, Dédé il a mis les voiles sans même lui dire adios, la rognure, non Mel elle a plus grand chose à elle, mais ce qu'elle a elle le garde et dans ce qu'elle a, y a l'intégrité de son vieux corps fourbu-flapi-fragile, ce corps qui pue et qui suinte de partout mais qui lui appartient et qui lui appartient d'offrir à qui elle veut quand elle veut, ce corps moche et abîmé que maintenant plus personne ne convoite et c'est tant mieux parce qu'on le lui a volé, ce corps, on le lui a volé une paire de fois, pourquoi tu crois qu'elle crèche ici dans son local à poubelles, tu lui feras plus jamais mettre les pieds dans ces putains de foyers ou de centres ou tout ce que tu veux, plutôt crever t'entends - t'entends ?
L'art non seulement ne sert à rien - et c'est précisément en ça qu'il est nécessaire, nécessaire et intrinsèquement politique : dans le renversement et l'enrayement qu'il opère des logiques productivistes - , mais l'art en outre ne sert rien ni personne, pas même l'artiste qui lui sacrifie tout. Et ça, qui peut l'accepter. Qui pour se satisfaire d'une telle absence radicale et incompromise, de mobile et de motif. Personne. Alors il fallait tuer l'art à la source et on a tué l'art à la source, condamnant l'artiste à survivre en milieu hostile, à jamais privé d'armes.
Une route en ligne droite perdue, comme la rainure de cette double page, au milieu de champs qui se déploient de part et d'autre dans des camaïeux d'ocres sèches et de bruns tourbes. Les champs viennent pour la plupart d'être labourés et j'imagine de nets tracés vus du ciel, un quadrillage prêt à recevoir au-delà des marges glauques une écriture régulière et soignée, impeccablement rythmée de sillon en sillon.
Il n'existe plus déjà lorsque la porte de l'immeuble claque derrière lui. Il ne reviendra pas en arrière, on ne l'arrêtera plus. Sa décision, si c'en est une, si ce n'est pas autre chose, est irrévocable, mûrie de longue date - pensée, anticipée, répétée.
Par lui ou par d'autres.
(incipit)
Plusieurs témoignages, forcément anonymes, ainsi concordent et permettront de mettre la main sur "Carlotta", visage flouté, en compagnie de l'homme qui passera les vingt-huit minutes séparant ses deux apparitions sur les images prises dans la rue de la Monnaie. Là encore, il avait l'air "normal", vous savez Carlotta voit de tout et les repère à cent lieux les détraqués, lui, non, ce n'était qu'un pauvre type qui ne s'était pas soulagé depuis un bail, ce qui pour sûr était zarb il était plutôt beau gosse pas le genre a priori à lutter pour se dégotter une paire de jambe à écarter vous voyez ce que je veux dire quoi, bulle de chewing-gum qui éclate, peut-être qu'il sortait de prison ? Propre sur lui et tout, mais vous savez Carlotta voit de tout maintenant, du clodo qui passe et tente sa chance au tétraplégique, les pires sont les friqués, eux te demandent tout et n'importe quoi sous prétexte que ça s'achète et que le client est roi toussa-toussa, bulle de chewing-gum qui éclate, mais Carlotta s'en tape quoi, le leur suce, leur fric, s'il en ont trop, c'est vrai quoi c'est son boulot et à eux il leur en coûte toujours un peu plus qu'aux autres, Carlotta appelle ça distribution solidaire des richesses, ce qu'elle pompe aux uns elle ne le pompe pas aux autres, vous voyez ?
Le lectans, dọnc, ne perde pas évisiọn que le textuel qu’il a sous les yeux a fait une munitieuse décompositiọn l’object ÷ c’est dọnc en sørte ce ..journal.. le dénégatif même que nous proposọns à la lectance aujourd’hui – les multiples lacunes-siennes, les béances, les blanches poches que nous avọns introductées dans les pages de suite témoignent d’un reste irréductile ε cọntrastent førtement avec l’orduratiọn visuelle de l’object øriginel telle que surmentionnée ε endurée pår son ..auteur.. Pour des ergonoraisọns, nous avọns pris cependans la décésure de ne pas détraver la lectance, en soi déjà périlleuse, pår des notes l’ajouxte. S’ils ne sọnt pas explicitement saignés, il nous a néanmoins fallu décéder certains choix – omissiọns pårfois, décritures à d’autres endroits – lørsque nous cọnfrọntiọns à des mots ou passages illectibles, soit pår le piætre étact dans quel se trouvait l’homanuscrit, soit à cause d’une écriture nọn-rechiffrable – ce ..journal.., déprécisiọn sans doute infructile tant elle påraĭct avide, mais l’avidence filtrée pår la distance hystørique parfois nous échårpe, fut édicté à la main, dans une graphie étrangære de plusieurs cycles vieillie -, soit encøre pår plusieurs procédés au cours de quoi l’homme avait ressemble-t-il attenté d’amender, encoder ou dissimuler sa cọnflictiọn certains élémens, ainsi qu’il s’en explique à plusieurs déprises.
"Le sacrifice du roi" de Livie Hoemmel
Un roman qui je le crois peut vous intéresser
Pourquoi ? Une écriture hors des sentiers battus, et pour cause, l'écrivaine est un génie à part entière dans un autre domaine, mais un être supérieur intellectuellement. Je ne savais pas à quoi m'attendre, ce fut une révélation.
Judith Polgàr a été la première femme à défier les hommes pour le titre de champion du monde.
Je crois que vous allez être sensible, elle a sa patte.
Amicalement,
Astride
Un peu comme dans ces films où le héros piégé clame son innocence, prétend n’être que le jouet d’une intrigue ourdie depuis la marge, qui le dépasse mais en tous points l’accuse. Les conventions du genre font que je finirai bien par être blanchi – ce que je me dis.
Il y a toutefois dans tous ces « événements », avérés ou non, ceux d’hier et les autres, ce que jusqu’ici j’ai vu, fait cru, tu au gré de mes saillies, et dans le reste aussi, quelque chose qui d’emblée résiste au récit que j’en pourrais faire ; quelque chose qui plongerait presque la langue dans l’embarras (et quelque chose me dit que l’énigme tout entière se joue à mi-chemin de ce « presque » et du conditionnel), ferait trembler l’armature qui la guinde si elle n’apprivoisait la violence qu’elle invite et assourdit en son sein.
Je me rassure en me disant que tout ça n’a pas de sens.
Je me raisonne en me disant que je préfère encore le silence, l’injustice du non-dit au non-lieu.
L’imagination fait le reste, qui se nourrit de tout, même d’un rien.
Bref, on en était là aujourd'hui - incapable désormais de faire la part des choses, de distinguer les extrêmes, ni le chaos de la loi, ni le réel de la fable. La sécurité de la liberté (...) Alors on fermait sa gueule.