«
Gens de Beauce » est un roman de
Gaëlle Obiégly (2003, Gallimard L'Arpenteur, 208 p.) qui nous introduit et entraine dans sa région natale, près de Chartres.
Jeunesse en Beauce donc, qu'elle raconte dans son roman. Puis études sommaires de l'histoire de l'art dans une université à Paris, puis entame des études de LEA avant de partir en vacances en 1993 aux États-Unis. Là, elle se lie au poète et photographe Ira Cohen (1935-2011). Elle débute dans l'écriture avec un premier roman qui se passe en Russie « Petite figurine en biscuit qui tourne sur elle-même dans sa boîte à musique » (2000, Gallimard, L'Arpenteur, 144 p.) qui débute par « Je suis partie un dimanche après-midi pour Saint-Pétersbourg voir mon père sur son lit de mort. Devant la porte du crématorium j'ai renoncé. J'ai acheté des fleurs dont j'ai respiré le parfum suave assise sur les bords de la Neva. le ciel était sombre, lézardé, à certains moments, par les échos acides du soleil. je voyais passer et repasser devant moi mon père enfant, déguisé en petite fille, paradant à la fête de l'école. J'aurais voulu être sa maman ».
En 2004, elle rencontre l'artiste autrichien
Pierre Weiss avec qui ils fondent WO et entreprennent des travaux littéraires et plastiques . Elle est actrice de la plupart des films de
Pierre Weiss dont « L'événement qui possède l'homme » et « Dont la réalité s'impose » pour lequel Gaëlle écrit le script et qui est en fait une comédie musicale, avec un fond de musique joué par un guitariste. Dans « Quel jugement devrais-je craindre ? » deux personnes mettent en scène deux manières d'habiter l'espace de l'appartement. En 2014-2015, elle est pensionnaire à la Villa Médicis, là où elle situe l'irruption de la voix intérieure de «
Totalement inconnu » (2022, Editions
Christian Bourgois, 240 p.), voix qui lui guide sa conduite. Entre, il y a donc eu une douzaine de livres aux
Editions De l'Arpenteur, puis Verticales, et enfin
Christian Bourgois.
Le livre narra la jeunesse de Jeanne M., qui « est née en 1950 dans une petite ville des environs de Paris. le père était militaire en Allemagne, et il avait obtenu une permission. « La nuit du 3 décembre, il l'a passée dans le couloir d'un hôpital. Il neigeait ».
Plus tard, Jeanne M. va à l'école, « met les chandails que sa mère lui tricote, des vêtements qu'elle passe à sa soeur ». Car elle a maintenant une soeur Rosalie. Elle « dessine des boyaux, des ventres éclatés, la guerre, une jambe sans le corps qui va avec, pas de tête ». Et l'été 1959, la mère, Yvonne part seule en train avec ses filles. Pendant ce temps Jacques, le père achève la maison. Elles vont chez la grand-mère, en Bretagne. Là, « Messe obligatoire. On ne peut pas laisser les petites toutes seules dans la maison, il y a trop d'escaliers ».
On le constate, il ne se passe pas grand-chose durant ces 9 premières années de Jeanne M., petite fille. de la Beauce, on ne retient pas grand-chose, sinon « sa campagne, champs de blé, labours, betterave à sucre au moment de la chasse.et les labyrinthes de maïs et de colza. le colza, jaune acide au mois de mai ». On nous fait miroiter la population d'Agaville, soit « quelques notables dont font partie les agriculteurs ». Mais, c'est tout. Il y a bien le notaire, il « est de tous les mariages ». Il y a surtout la terre « Tout tourne autour de ça, la terre ». Bref, la Beauce, c'est la terre autour de Chartres. Les gens, « on les prend à l'Ouest pour des demeurés ». Avec la terre, il y a les animaux de la ferme, petits animaux en fait, des poules, des lapins. Que l'on élève, puis que l'on tue, à grands jets de sang, qu'il ne faut pas perdre. Il y a aussi un cochon, que l'on élève avec les eaux grasses, et qui finit en boudin et cochonnailles.
« L'homme que Jeanne M. épousera s'appelle William. Il est né le 22 février 1948 dans la chambre où ses parents l'ont conçu. On lui a donné le prénom du médecin. A croire que la mère en était amoureuse ».
C'est l'histoire de petite fille aux yeux verts. Elle parle « une langue amputée, celle de ses parents », où la chair est « imprononçable ». Jeanne M. s'enfouit dans la sensation, se réfugie dans ses cahiers secrets et dans son herbier où elle renferme des mots, des « matières » animales, végétales. Autour, à perte de vue, le maïs de la Beauce. Il y a des accidents, des blessures, des lapins estourbis. Jeanne M., « fausse douce, insaisissable, petit animal avec son visage de muette », perçoit l'étrangeté de ce monde familier, l'incohérence de ces adultes « qui vous rassurent de peurs qu'ils vous ont transmises ». Plus tard, elle épousera un « Slave buveur » et désespéré : et leur fille, en secret, pensera « qu'au fond ils allaient bien ensemble Jeanne M. et W., des écorchés ». On retrouve dans ce troisième roman l'écriture intense, poignante de
Gaëlle Obiégly : elle capte l'indicible, met à vif les blessures - « la douleur, elle vient de comprendre, c'est en dessous de la peau ».
On trouve, en cherchant bien, de petits textes, plus ou moins inédits dans la grande presse, dans le magazine, maintenant disparu « Purple Magazine » ou bien des textes de la « Fondation la Poste »
C'est ainsi qu'il y a « le Désir » édition mars 2021. « Désir fait partie d'une liste de mots que j'emploie avec timidité. Ce n'est aucunement par pudibonderie. Mon embarras tient plutôt à mon ignorance. Je n'ai jamais trop compris ce que c'est, le désir. du moins, sa signification ne me dit pas grand-chose » ce qui débouche sur cette question primordiale « peut-on parler de désir pour un chat ? ». Puis elle passe à « Les Récits de Sébastopol », sorte de reportage que Tolstoï a écrit sur la guerre de Crimée.
« L'Éphémère » édition mars 2022 sur le thème de la 24eme édition du Printemps des Poètes. C'est un article sur Christine Herzer, poète et artiste visuel, en résidence au couvent des Récollets. Elle travaille l'écriture. C'est-à-dire l'aspect physique de l'écriture, sa production de sens, ou comment l'acte et les matériaux d'écriture peuvent servir à révéler un espace sont au coeur de sa recherche. En résidence, les oeuvres fleurissent dans un environnement où les artistes sont de passage. Ils écrivent une phrase sur un mur. Ou Ils fabriquent une tour sans fin qui s'arrête le jour où il faut partir. ils donnent la grâce de l'éphémère à leur précarité, c'est ainsi la preuve de leur travail. Sur les murs, elle colle des phrases où tout est écrit de la main gauche d'une manière pas naturelle. Elle considère que l'écriture est la grande invention des êtres humains. Mais ces écrits expriment des états éphémères, des états naturels. Ils prennent de la valeur d'être ainsi formulés. Par exemple, « Je ne suis pas cool » ou « Je cherche ma respiration » et « Je dois gagner ma vie ».
Il y a également des textes sur l'écriture épistolaire, dans la revue « L'Epistolaire », (édition de septembre 2022) en particulier sur les liens qui unissent la correspondance à la biographie. « Et pourquoi ces correspondances ont-elles tant d'importance pour retracer la vie sentimentale de
Paul Valéry ? » par exemple.
Et aussi, plus ancien un texte intéressant sur Mathurin Méheut (1882-1958). Peintre breton, ou bretonnant du monde bigouden. Il y avait une rétrospective cet été 2022 au musée d'art de Pont-Aven sur cet artiste, en plus de son exposition permanente du Musée de Lamballe, dans les locaux du haras national de Lamballe. Là, c'est une analyse d'une partie de ses paysages à travers de « Lettres de Mathurin Méheut à
Yvonne Jean-Haffen » (2018, Éditions Ouest France, 160 p.). C'est une longue correspondance, où toutes les lettres sont ornées de croquis. Les dessins occupent plus de place que l'écriture. Peintre d'un monde qui est appelé à disparaître avec la modernisation. Il peint les costumes traditionnels bretons « Quand il regarde les costumes, il voit avant tout leur beauté, il admire les broderies, le travail des brodeurs… ». Superbe catalogue au musée de Pont-Aven « Mathurin Méheut: Arpenteur de la Bretagne » (2022, Coédition Faton /
Musée de Pont-Aven, 205 p.).