C'était le secret de chacun : aucun de nous n'est jamais rien d'autre que ce que le monde autour de lui a décidé qu'il est.
Les morts vivent tant qu'un seul vivant les porte encore en lui.
Quand la porte s'est ouverte, pendant un bref instant, toute l'odeur du passé m'est encore montée à la tête. Et j'ai fermé les yeux pour mieux la respirer et pour revoir en moi-même tout ce qui avait disparu. Mais le petit s'ennuyait. En sortant, sur la place, à une baraque du marché, décorée des posters, déjà un peu défraîchis, de Marylin Monroe, de Johnny Halliday et de Che Guevara, avec dans un coin, une affiche un peu plus petite qui représentait la fille - vous souvenez -vous ?- du torero d'Ursula, je lui ai acheté une carabine et un Coca-Cola.
Le bonheur n'était pas une idée très familière à la tribu. C'était une idée neuve, individualiste, révolutionnaire. Le bonheur était une idée louche. Pour les soldats et les saints de notre galerie de portraits, il ne s'agissait que d'une chose : d'accomplir leur devoir et d'y rester fidèle. Il ne serait jamais venu à l"idée de mon grand-père de vouloir être heureux. Ma tante Gabrielle ne pensait à rien d'autre.
De génération en génération, nous nous étions méfiés des questions. Et de tout temps, de tout cœur, aux questions sans réponses, nous avions préféré les réponses sans question.
C'est le banal qu'il faut montrer, parce que c'est lui qu'on ne voit plus, à force d'habitude et de familiarité.
Peut-être la bicyclette, dans ce monde de machines, était-elle à nos yeux une héritière du cheval ?
Aucun de nous n'est rien d'autre que ce que le monde autour de lui a décidé qu'il est.
Nous quittions le temps qui passe et nous nous installions dans le temps qui dure.
Il n'y a qu'une chose qui échappe au temps et qui ne meurt jamais: c'est la mort.