Il n’y a que les gens de tradition pour aimer l’aventure. Il n’y a que les révolutionnaires pour aimer la patrie.
Chacun sait que les années, les mois, les semaines et les jours ne défilent pas au même rythme avant d'allerse jeter dans les abîmes du passé. Le temps est comme la mer : les distances s'y calculent mal. A peine tournez-vous la tête : déjà tout s'évanouit. Une existence entière ne suffit pourtant pas à laisser notre passé reprendre enfin sa place dans l'éternité glaciale de l'histoire sans passion. L'histoire est melée à notre vie. Nous mourrons toujours trop vite pour qu'elle puisse s'en dégager. Notre vie, en revanche, est déjà presque de l'histoire pour ceux qui naissent après nous.
L'amour n'aime pas le passé.L'amour renverse et bouscule, il ne regarde qu'en avant, il est l'ennemi de la tradition. Est-ce que vous avez remarqué que l'amour ne jouait qu'un rôle somme toute modeste dans l'histoire de la famille ? Nous sentions obscurément qu'il risquait lui aussi, entre le socialisme et les mœurs nouvelles, de jeter à bas l'œuvre des siècles. L'amour est démocratique. Il est du côté de la révolution. Il est la révolution.
Le cinéma est le véritable héritier du roman de la grande époque.
La vie n’est jamais rien d’autre qu’une longue retraite devant la mort
C’est que le monde s’adonnait sans répit, avec une sorte de gourmandise et d’affection, à un crime impardonnable : nous nous étions arrêtés, et il continuait
L’âge d’or était derrière nous, avec toute cette douceur de vivre dont nous traînions dans nos légendes les échos assourdis et que les plus jeunes d’entre nous n’avaient jamais connue
Mais les pierres, la terre, les arbres ne pouvaient vivre sans nous que d'une vie aussi terne, aussi dénuée de toute signification que nous sans nos arbres, sans notre terre, sans nos pierres. Les systèmes s'effondrent parce qu'ils étaient des systèmes. Mais parce qu'ils étaient des systèmes, les éléments qui les composaient restent longtemps sans emploi après la chute des ensembles dont ils étaient des parties. Privés de tout lien et de leur sens, ils éprouvent beaucoup de mal à s'organiser à nouveau. Ils n'y réussissent, en vérité, qu'en constituant de nouveaux systèmes, aussi géniaux et aussi injustes que ceux qui les précédaient — un peu plus géniaux, peut-être, et un peu moins injustes? voilà toute la question —, mais qui, en tout cas, seront détruits à leur tour. C'est ce qu'on appelle l'histoire où, comme dans ces théories physiques qui alternent les explications par l'onde ou par le corpuscule, peuvent se lire indifféremment les étapes de la conscience vers son accomplissement ou la succession indéfinie, plus ou moins dépourvue de sens, plus riche, en tout cas, d'illusions que de progrès, des formes, des évolutions et des cycles.
Mais voilà que la souffrance et la gaieté, les chagrins et les rires se réconciliaient dans le souvenir et se rapprochaient jusqu'à se confondre dans ce trésor dont nous avions la garde et dont nous n'avions peut-être été que les régisseurs infidèles : le passé. Il prenait une douceur déchirante, ce passé, où le bien et le mal atteignaient également à une espèce de dignité adorable et divine, pour cette seule raison qu'ils étaient évanouis.
Il survient un moment, dans les théories scientifiques, dans les formes de l'art, dans les administrations, dans les sociétés, dans les familles, où tout ce qui fonctionnait, jusqu'alors, dans la rigueur et l'harmonie, se met à bredouiller et à accrocher. On invente des remèdes, des substituts, des hypothèses de correction, des aménagements de toute sorte — et quelquefois avec succès. Il y a des automnes de l'histoire qui valent parfois le printemps. Et des déclins triomphants, Justinien, Bélisaire, Hegel marquent la fin de quelque chose qui n'a jamais été plus grand qu'en cette venue du soir qu'illuminé leur génie. N'importe : l'Empire romain tombe, la philosophie est morte. L'idée de destin, qui hante les hommes sous mille formes, j'imagine qu'elle provient de cette étrange coalition des forces de la destruction, de cette impossibilité d'arrêter ce qui roule sur les pentes de l'abîme. On colmate une brèche, voici dix fissures. On redresse la barre : la tempête redouble. La décrépitude, la décadence, la chute, on dirait qu'elles se nourrissent elles-mêmes, et jusqu'à la fascination, de leur propre vertige. Il n'y a rien à faire contre l'usure, il n'y a rien à faire contre le temps.