l'histoire est à la politique ce que l'érotisme est à la pornographie - c'est-à-dire la même chose mais à l'étage au-dessus et vue d'un peu plus loin.
Un beau matin de printemps, (Il) se sentait au comble de l'excitation : l'équipe de Cambridge, où il comptait encore plusieurs amis, était en train de l'emporter sur celle d'Oxford. Le spectacle était enchanteur. Il faisait une de ces journées de soleil que se réservent jalousement les pays où il pleut beaucoup. Dans un élan où la souplesse semblait effacer tout effort, les longues embarcations filaient à toute allure sur le miroir étale du fleuve, à peine froissé de temps en temps par une risée subite. Les gestes des rameurs donnaient l'impression d'une régularité et d'une harmonie merveilleuses. Une longue rumeur montait des deux bords de la Tamise où des milliers de spectateurs criaient leur joie ou leur déception. Les robes de couleur des femmes avaient l'air d'appartenir à ces tableaux français qui faisaient scandale, à peu près à la même époque, de l'autre côté de la Manche : dans le tremblement de la lumière, elles jetaient des taches vives dont les combinaisons changeantes dansaient devant les yeux.
Ainsi passait parmi les hommes, inséparable de leur moindre geste et de leur moindre pensée, régnant sur l'univers, lien impalpable entre les générations, racine et formes sans contours, sans figure, sans consistance -et pourtant omniprésente- de tout ce qui surgit en ce monde, matière et coeur de l'histoire, le personnage tout puissant qui est le premier de ce livre comme il est le premier aussi de tous les souvenirs et de tous les projets : le temps.
De Spartacus aux journées d'Octobre, la révolution n'est peut-être rien d'autre que l'effort surhumain de ceux qui n'ont pas d'histoire pour entrer de force dans l'histoire. Alors, passés enfin du côté des vainqueurs, ils se mettent à briller eux-aussi dans les ignobles annales des hommes où ne figurent que ceux à qui le hasard ou la force ont procuré la chance de pouvoir faire quelque chose. Peut-être n'y a-t-il de beauté et de vraie grandeur que chez les vaincus et les oubliés de l'histoire ? "La justice, écrit Simone Weil, s'inspirant des tragiques grecs, cette fugitive du camp des vainqueurs."
Les histoires d'amour se terminent trop souvent par des histoires d'argent.
C'est avec la raison et l'instruction que les enfants s'abîment et deviennent idiots pour ressembler plus vite aux grandes personnes.