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Critique de Eskalion


Si j'ai un faible pour des écrivains comme Keigo Higashino ( « La maison où je suis mort autrefois » ) ou Seichô Matsumoto un endroit discret » ), je dois bien avouer que mon horizon littéraire en extrême orient s'arrêtait là, du moins jusqu'à aujourd'hui.

J'imagine, qu' à une époque où les auteurs nordiques jouent les rouleaux compresseurs, où le thriller se déploie sans partage sur les étales des libraires, il est parfois difficile pour un lecteur qui n'a pas forcément la curiosité vagabonde et l'imagination aventureuse, d'y dénicher des sentiers peu usités, susceptibles de l'emmener vers de nouvelles expériences de lecture.

Une maison d'éditions s'efforce pourtant de l'y aider depuis plusieurs années en lui offrant dépaysement, originalité et découverte. Cette maison, c'est celle des éditions Picquier .

Je n'ai pas pour habitude de faire ainsi de la publicité pour un éditeur, mais le travail remarquable de celui ci est à souligner tant il n'a pas choisi la voie de la facilité. Loin des tendances et modes actuelles, les éditions Picquier s'attachent à publier des auteurs asiatiques et à promouvoir une littérature encore trop méconnue en France. Et c'est là tout son mérite, d'autant que leurs publications sont toujours de bonne qualité.

Le roman d' Otsuichi , « Rendez vous dans le noir » , n'échappe pas à la règle. Réédité en juin, ce roman est un huit clos original , tout en délicatesse et retenue.

Michiru est une jeune femme qui vit seule depuis la mort de son père. Aveugle à la suite d'un accident , sa vie se drape dans les ténèbres permanentes et la solitude qui lui tient lieu de compagnie.

Des amis Michiru n'en a quasiment plus. Seule Kazue se préoccupe encore d'elle et vient lui rendre visite pour l'emmener se promener ou pour faire quelques courses.

Kazue aimerait bien d' ailleurs que son amie sorte plus souvent de chez elle, qu'elle apprenne à s'aventurer seule dans la rue et dans son quartier pour continuer à vivre. Mais Michiru préfère la vie de recluse qui est devenue la sienne . Avoir le moins de contacts possibles avec le monde extérieur la met à l'abri, la libère de son handicap, faisant d'elle presque une passagère clandestine de l'existence.

Il en va donc ainsi de sa vie parfaitement maitrisée et cantonnée dans ces quelques mètres carrés que constitue sa maison.

Pourtant un jour Michiru perçoit subrepticement des changements dans son environnement confiné. Un subtil déplacement d'air, la perception à peine audible d'un léger grincement du tatami , et progressivement la certitude qui se fait jour d'une présence inconnue chez elle, qu'un intrus s'est introduit dans sa vie.

Cette présence représente t-elle un danger ? A t-'elle un lien avec le crime commis dans la gare voisine où un homme a été projeté sous les roues d'un train et dont recherche toujours l'assassin ?

Michiru décide de ne rien changer à ses habitudes, de ne pas provoquer son hôte.

Peu à peu va s'instaurer entre eux une étrange relation. Si habituellement le silence éloigne, s'il met à distance, ici il va rapprocher ces deux êtres, enveloppant dans la douceur de ce temps suspendu cette relation sensorielle si particulière.

Au delà d'un suspens à pas feutrés, c' est donc d'abord un huit clos qui réunit deux êtres solitaires, isolés des Hommes. L'un par une cécité accidentelle, qui allongé des heures durant sur le sol trouve dans la méditation et le renfermement sur soi, une absence au monde à la fois salvatrice et résignée ; et l'autre, qui vit à la marge, incapable de s'intégrer au groupe et donc rejeté par ses semblables , qui vit son monde comme une terre étrangère.

Deux êtres qui dans cet espace confiné, affranchis des carcans et de la rigidité de cette société japonaise que l'auteur égratigne au passage, vont retrouver dans la présence ou le regard de l'autre cette part d'humanité qui les rends vivants et les ramènera à la surface de la vie.

Ne cherchez pas dans le roman d' Otsuichi ce que vous avez l'habitude de trouver dans les romans anglo-saxons. Oubliez le bruit, oubliez l'action, oubliez la violence. « Rendez vous dans le noir » est comme la volute d'un thé traditionnel qui serpente et s'évade dans l'espace ambiant, en diffusant la chaleur et la douceur suave de son scénario.

A cela s'ajoute un suspens tout en subtilité, en retenue, dont le dénouement , imprévisible même au plus perspicace des lecteurs , ne manquera pas de vous surprendre.

Otsuichi démontre ainsi que les auteurs asiatiques n'ont rien à envier à leurs coreligionnaires occidentaux, donnant à son oeuvre une épaisseur d'âme qui fait ben souvent défaut dans les productions occidentales, qui privilégient trop souvent l'action et le spectaculaire, à la réflexion et aux rapports des personnages, en particulier dans le thriller.

Preuve en est donc que l'on peut écrire une histoire captivante, toute en finesse et sobriété, sans artifice, que le lecteur saura savourer et apprécier à sa juste valeur.
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