UN COURAGE FORT ET SOLITAIRE : L'HISTOIRE DES SOEURS ESPIONNES EN FRANCE OCCUPÉE
De l'auteure britannique,
Susan Ottaway, j'ai lu en 2013 la biographie de l'espionne française Violette Szabo-Bushell, qui comme opératrice radio clandestine pour les alliés a été capturée par les nazis et envoyée au camp de Ravensbrück, où elle a été exécutée le 5 février 1945, à l'âge de 23 ans.
La fille de Violette,
Tania Szabo, née en 1942, a également écrit une biographie de sa mère : "Violette : Young, Brave (courageuse) and Beautiful".
En septembre 2010, à Torquay en bordure de la Manche en Angleterre, des gens informent la police qu'ils n'ont plus vu leur petite voisine depuis plusieurs jours, la vieille dame solitaire qui a l'habitude de faire ses courses journalières avec un énorme sac. La police entre et trouve la dame morte depuis un bon bout de temps. En continuant leurs recherches, les flics sont abasourdis de tomber sur toute une série de médailles, parmi lesquelles celles d'officier de l'Empire britannique (OBE) et la croix de guerre française avec palmes.
La petite vieille de 89 ans, morte d'un arrêt cardiaque, s'appelle en fait Eileen "Didi" Nearne, ex-agent Jacqueline du Tertre du SOE, nom de code opérationnel "Pionnier", nom de guerre "Rose" et... grande héroïne de guerre.
Le couple John Nearne, citoyen britannique, et son épouse française d'origine noble espagnole Mariquita Carmen de Plazaoale ont eu 4 enfants : Francis né en 1914, Jacqueline née en 1916, Frederick en 1920 et Eileen en 1921.
Trois ont été actifs au SOE de
Winston Churchill et le fils cadet a été de 1940 à 1946 pilote de chasse du RAF ("Royal Air Force"), entre autres en Jordanie et la Palestine.
En 1923, le ménage Nearne s'est installé en France, d'abord à Auteuil et ensuite à Boulogne-sur-Mer, Nice et finalement, au début de la guerre, à Grenoble, aussi bien que leurs enfants bien que parfaitement bilingues parlaient Anglais avec un accent français. Vu leurs déménagements fréquents, ils connaissaient aussi très bien la douce France, le cher pays de leur enfance. Des atouts importants pour leur recrutement par le SOE et plus tard pour leurs missions en France.
Dès le début des hostilités et l'occupation teutonne, les 4 jeunes Nearne voulaient libérer la France en continuant le combat à côté des Anglais, ce qui était dans la pratique loin d'être évident.
En avril 1942 Jacqueline, 26 ans, et Didi 21 seulement, traversèrent les Pyrénées et de Lisbonne yoyagèrent clandestinement à bord d'un vieux rafiot à Glasgow en Écosse.
Jacqueline fut relativement vite admise à la Section française du SOE, sous les ordres du colonel Maurice Buckmaster (1902-1992) et sa compétente assistante Vera Atkins (1908-2000), née Rosenberg à Galați en Roumanie.
Après son entraînement, sachant que Didi voulait faire pareil, elle leur demanda de ne pas recruter Didi, qui était bien trop jeune pour ce genre de boulot extrêmement dangereux.
Devant une Didi insistante, toutefois, et douée comme opératrice radio, "Buck" passa outre à sa promesse à Jacqueline et la petite dernière rejoignait fière et enthousiaste les rangs du SOE.
C'est comme l'assistante de Maurice Southgate (1913-1990), chef du réseau "Stationer", qui allait du centre de la France jusqu'à Tarbes, que Jacqueline a été parachutée, le 25 janvier 1943 en Auvergne.
Didi a été nommée l'opératrice radio de l'avocat parisien, Jean Savy, chef du réseau "Wizard" (sorcier) qui devait préparer les opérations en vue du Jour J.
Le duo a atterri dans la nuit du 2/3 mars 1944 à Châteauroux en Indre.
Sans vouloir entrer dans le détail de la mission des 2 soeurs, disons que leurs tâches étaient aussi dangereuses que variées : assurer la liaison entre membres des réseaux, ce qui impliquait de nombreux déplacements risqués avec de faux papiers d'identité ; émettre et recevoir des messages radio avec et de Londres (énormément dangereux bien sûr) ; transport de documents, munitions et armes ; assister à des actions de sabotage etc.
Leur frère aîné Francis a voulu suivre l'exemple de ses soeurs, mais a eu tellement peur pour son épouse, Thérèse Poulet, leur fils John et pour lui-même, que le SOE s'est vu obligé de le retirer des opérations. Ce qui démontre, à sa façon, le courage exemplaire et le sang-froid à toute épreuve des soeurs Nearne.
Jacqueline, en janvier 1944, montrait de tels signes de stress et de fatigue intense, que son chef, inquiet, a sollicité pour elle un repos en Angleterre. Buckmaster lui a envoyé un petit avion le mois suivant, mais elle a refusé de monter. Selon l'auteure probablement le seul ordre qu'elle aurait formellement désobéi.
Susan Ottaway a pu bénéficier d'entretiens avec Eileen Nearne pour la rédaction du présent ouvrage, Jacqueline étant décédée en 1982, à l'âge de 66 ans, d'un cancer.
Le livre de 325 pages (avec notes et index) est illustré par des photos de documents ayant appartenu aux 2 soeurs.
Eileen Nearne ne parlait jamais de ses aventures et celles de sa soeur et ce n'est qu'à sa mort que ses voisins de Torquay ont appris par la presse qui avait été au juste cette petite femme apparemment insignifiante !