Juin 1976
Les maisons de Carthage basculent. Englouties dans la brume neigeuse du hublot. Fauchées sous mes pieds. Silhouettes aimées, debout sur le quai lorsque le train s’ébranle. Ne rien perdre d’images en déroute. Serrer au fond de soi ce qui est déjà en train de se faire mémoire. Les terrasses, ce blanc marbré de sable. Celui d’ici, devenu là-bas. Les anciens Ports Puniques, Sidi Bou Saïd, La Marsa. Une terre à laquelle je suis arrachée sans retour. Me reste l’immensité de la mer, au-delà de la côte qui s’en va. Ainsi commence le temps de l’absence et des lettres. Envoyées par les êtres chers, elles exacerbent le manque. La vie continuée sur l’autre rive, sans qu’on y soit. Pour seul bagage, des mots tracés sur le papier.
Des années sans revenir…
Tunisie, carnets d’incertitude, Elyzad, 2013
JOURNAUX DU MATIN
Extrait 4
sur les carreaux du patio, les branches s'amon-
cellent, vert sombre. Figé contre la terrasse, le
laurier sèche ses moignons.
*
Des giclées de clarté traversent la vitre.
JOURNAUX DU MATIN
Extrait 3
Claquement sec des cisailles. Trancher vif, au
cœur du sujet. Bruit de métal. Plainte du bois
que tu scies, sans t'arrêter. Le linge sur la ligne
tremble. Soupire avec la brise.
JOURNAUX DU MATIN
Extrait 2
Une par une, les pages des journaux que tu
apportes. Leurs feuilles s'ébrouent en longs
froissements d'encre. Le nouveau gouvernement,
c'est aujourd'hui ? Demain ?
*
Tant d'attente. Brahim, tu te lèves. Une par une,
coupes les branches devant la fenêtre assombrie
de feuillages.
JOURNAUX DU MATIN
Extrait 1
Radieux, le patio de février.
Il repousse les territoires de l'ombre. Corps à
corps muet, ininterrompu. Le linge sur la ligne
lève les bras au ciel.
Le peuple se tait
peuple silencieux
souffle suspendu
à peine contenu
digues prêtes à rompre
Tu racontes le pharmacien qui ne sait pas lui non plus. Le salafiste derrière toi, qui sait lui. Qui crie haut et fort… Vous devriez savoir, mécréants
« Maintenant on peut parler comme on veut au café ou chez des amis, sans crainte d’être dénoncés. » Aujourd’hui vous vous inquiétez pur la révolution libyenne.
Rue par rue, maison par maison, dégage, dégage, Bachar !
Les slogans fusent avec la jubilation de l’espoir. Lancés haut dans le ciel de printemps, ils ricochent sur la façade du palais de Chaillot et leurs rimes viennent taquiner l’écho.
La nuit m’est plus proche ce soir. Laveuse d’absence et garante de rêve. Je m’y enroule dans sa tiédeur de laine, les yeux fermés sur un pan de ciel qui s’attarde.