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Citations sur Le devoir de violence (29)

Puis, avec une voix de fausset :
"Voyez-vous, mon cher, un conte nakem rapporte ceci : "Aux hommes et à leur folie, le Destin a dit : Je dois les excuser, l'humanité est si jeune !" Et il a attendu. Et il attend. Comme la patience devenue monument. Je trouve ça piquant... Mais brusquement, l'imprévisible ! forme précipitée des règles du jeu : "Qu'est-ce qui n'a pas marché ?" Toute la machinerie humaine dont la chaudière prête à éclater, éclate. Mais le Destin est là, et lui pardonne, fatalement. Son pardon : signature de ministre. Lu et approuvé avec date et lieu, puis cachet. Cela s'appelle un sursis ; quand il expire, l'humanité recommence, malignement ; et le destin, par procuration, pardonne, inlassablement. Et comment se lasserait-il, comment, s'il s'en lassait, ne connaîtrait-il pas l'Ennui, conscience vide du temps sans contenu ? Ennuyeuse innocence de qui n'a point péché ! Et nous sommes pécheurs. Alors Dieu pardonne par contrainte, ou par amour, peut-être.
- La contrainte, pour le métal de bien d'âmes, est comme un coup asséné sur un silex : l'étincelle qui jaillit s'appelle Amour.
- Qui se soucie d'un amour qui ne serait qu'une étincelle ?
- L'homme.
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Tenant sa bicyclette par le guidon, l'évêque, dans ce silence écrasant des nuits nakem, se fit entendre, comme s'il venait de trouver une explication au comportement saugrenu de son élève.
"Les Chinois ont un jeu : le trait d'union. Ils capturent deux oiseaux qu'ils attachent ensemble. pas de trop près. Grâce à un lien mince, mais solide et long. Si long que les oiseaux, rejetés en l'air, s'envolent, montent en flèche et, se croyant libres, se grisent de battements d'ailes, de grand air, mais soudain : crac ! Tiraillés. Ils volètent follement dans toutes les directions, tournoient et tourbillonnent, éparpillant le sang qui dégoutte de leurs ailes meurtries d'où s'arrachent plumes et duvet qui atterrissent sur les spectateurs. Les Chinois trouvent ça drôle, hautement comique et raffiné. A se tordre de rire ! Parfois, la ficelle s'emmêle dans quelque branche d'arbre ou autour des oiseaux eux-mêmes, Qui, pris au piège de ce lien qui les entrave, se débattent, se picorent yeux et becs et pattes, ou, quand la Providence se garde de les empaler aux branches, avant la fin du jeu, l'un d'eux meurt. Seul. Ou avec l'autre. Tous les deux. Ensemble. Étranglés ; éborgnés."
L'humanité est une volaille de ce genre. Nous sommes tous victimes de ce jeu ; séparés, mais liés de force .Tous, sans exception.
- Mais, mais... bégaya Raymond.
- Oui ?
- Vous... Pourquoi me racontez-vous cela ?
- Parce que j'ai compris comment Saïf assassinait au moyen de vipères. Et cela vous concerne. Euh, marchons, voulez-vous ?
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Alors, parce que l'homme blanc s'était insinué en lui, sa présence commandant les gestes même qu'il ferait contre elle, lui, l'enfant de la violence. Il méprisa l'Afrique, brûlant à grandes étapes, là où il s'en était écarté, l'abîme qui le séparait de la prestigieuse civilisation blanche. Mais l'impression simultanée de vingt siècles d'Histoire, ou de leur résidu, lui restait encore imperméable : où il fallait découvrir, - éloigné soit le Malin ! - il recevait.
Et donc, réfugié sous l'arbre mort de la suffisance scolaire, mage du savoir, sans feu ni lieu, Raymond Kassoumi après s'être fourvoyé, avec un accent de titi parisien, dans la singerie, cultiva le palabre littéraire, faisant à sa culture un ventriloquisme de démagogie, et sombrant avec elle.
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Sankolo ne sut jamais qu'il avait ricané en dépit de son asphyxie ; mais, parce que son coeur battait jusque sous ses paupières et qu'elle allait mourir, la conscience lui revint une fraction de seconde, comme si son cerveau eût été un miroir fracassé, captant une lumière fugitive. Sa résolution gicla sous la forme d'une douleur intolérable. Comme s'il devait accoucher de cette douleur telle la mère de son enfant, il émit un sanglot. Puis, brusquement, faisant un pas, il se délivra de l'effort et suivit son enfant dans une solitude désolée.
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De par toutes les provinces, les résistants noirs razzient des captifs noirs, et paient de cette monnaie, aux marchands, chevaux, poudre, armes, augmentant ainsi, par hordes, les colonnes incessantes du nombre des esclaves, tandis que, de leur côté, les Blancs gagnent du terrain. Tout est pris, saccagé, volé - et les captifs, au nombre de huit mille environ, sont rassemblés en un troupeau dont le colonel commence la distribution. Il écrivait lui-même sur un calepin, puis y renonçait, clamant: " Partagez-vous cela !" Et chaque Blanc obtint plus de dix femmes noires à son choix. Retour au quartier général en étapes de quarante kilomètres avec les captifs. Enfants, malades ou invalides: tués à coups de crosse et de baïonnette. Et leurs cadavres, laissés au bord de la route. Une femme est trouvée accroupie. Elle est enceinte. On la pousse, on la bouscule à coups de genoux. Elle accouche debout en marchant. A peine coupé le cordon et jeté, d'un coup de pied, hors de la route, l'enfant, l'on avance, sans s'inquiéter de la mère hagarde qui boitille, délire, titube, vagissant, puis tombant, cent mètres plus loin, écrasée par la foule. (p.57)
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C'était un an et trois mois plus tard -13 juillet 1910. Arrivés depuis cinq jours au Nakem, trois étrangers, une famille d'allemands: Fritz Shrobénius, sa femme Hildegaard, leur fille Sonia [...] ces explorateurs-touristes étaient ethnologues et voulaient acheter trois tonnes de vieux bois à prix d'or, amassant masques nègres à profusion [...] Gesticulant à tout propos, il (Shrobénius ndlr) étalait son "amitié" pour l'Afrique et son savoir orageux avec une assurance de bachelier repêché. Il considérait que la vie africaine était art pur, symbolisme effroyablement religieux, civilisation jadis grandiose- hélas victime des vicissitudes de l'homme blanc [...] Il exploita la sentimentalité négrillarde par trop heureuse de s'entendre dire par un Blanc que 'l'Afrique était ventre du monde et berceau de civilisation.'' La négraille offrit par tonnes, conséquemment et gratis, masques et trésors artistiques aux acolytes de la "schrobénhisologie." Ah... Seigneur, une larme pour la mentalité si célébrement bon enfant de la négraille ! Seigneur... par pitié ! [...] De même, ethnologue rusé, avec la collection achetée à Saif et celles que ses disciples avaient ramenées gratuitement du Nakem, il vendit plus de mille trois cents pièces aux tiroirs caisses suivants: musée de l'homme à Paris, musées de Londres, de Bâle, de Munich, de Hambourg, de New-York, louant des centaines d'autres pièces pour divers droits: de reproduction, d'exposition, etc.
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Une femme adultère, dans ces conditions, encourait des sanctions impitoyables: elle était pour le moins mise nue, exposée en pleine cour royale, et, chargée d'un carcan aux chevilles, subissait- en vertu du droit coutumier- un lavement vaginal avec une décoction d'eau pimentée- où nageaient, ouallahi ! des fourmis. Dans certains cas (si la fautive se trouvait en état de grossesse, avortait et mettait au monde un enfant mort-né) un autre supplice, institué par Saif maintenait la femme cuisses ouvertes au-dessus d'un feu de bois, qui lui roussissait les poils du sexe.
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Le lendemain, Saif devait marier Tambira et Kassoumi. Mais, s'étant réservé le droit de cuissage pour le premier mariage de ses serviteurs, il fit valoir "que la mariée devait être vierge." Ce qui n'était pas le cas [...] la matrone fait asseoir Tambira, jambes écartées, sur un gros mortier que l'on avait roulé jusque dans sa chambre. Et, tandis que la première vieille maintient la femme immobile, la seconde, à l'aide d'un couteau plutôt sale - pratique l'ablation du clitoris, incise puis avive les deux lèvres, les rapproche et les maintient dans cette position en les agrafant avec des épines. Ménageant sous cette "couture'' un petit orifice (pour les besoins naturels), elle y introduit un bâtonnet évidé, enduit de beurre noir, attache enfin, l'opération terminée, par un triangle de morceaux de canne de mil, le bas-ventre de la femme. Du genou à la hanche. Jusqu'à complète guérison, interdiction de tout mouvement [...] Enfin, nombre d'hommes, vivant en concubinage avec le sexe faible, se trouvèrent heureux d'avoir à conquérir, à l'occasion du mariage, un plaisir nouveau, sadique, fait de volupté et de souffrance, quand ils défloraient, sexe picoté d'épines, flancs éclaboussés de sang, leur maîtresse, elle-même ravie, et morte plus qu'à moitié de plaisir et de peur. (p.87)
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Ceux qui pensaient le connaître voyaient en lui un idéaliste, illuminé, l’espace d’un éclair, par quelque immense idée sous le coup de laquelle il restait comme ébloui, souvent trop longtemps. Il ne parvenait pas, disait-on, à dominer son idée, y croyait fermement, passionnément, mais, dès lors, toute son existence ne devenait plus qu’une lente agonie sous la pierre qui l’avait à demi écrasé. Révolté ? Cynique ? Ignoble ? Mythe vivant d’une colère ambulante à la merci de sa légende névrosée ? Sorcier raté ? Non. Pas exclusivement. On lui trouva un autre qualificatif : celui de criminel en retraite.
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« Je me lève. Le Sud. Le Sud. Mon corps flotte. Mes jambes pédalent. Mes bras s’agitent. Mais ce n’est pas moi. Je suis bien. Un ange me porte. Je suis bien. Les arbres sont bleus, l’eau est du mercure, je suis joailler. Je fabrique des bijoux avec les rayons du soleil. Je les offre aux oiseaux aux plumes blanches, aux yeux verts, jonchés d’étoiles, et les oiseaux me suivent ; ils font de la musique pour le plaisir de mes sens. J’ai à mes pieds, au milieu d’un cortège de tympanons sonores et de flûtes amoureuses, des femmes, à demi vêtues, couvertes d’un châle de soie qui cache leurs cuisses. Il y a des brunes, trois – enveloppées de laine blanche ; des blondes, deux – se vêtant de leurs mains d’or ; une rousse – qui s’affuble de fleurs de feuilles vertes et de raisins ; des noires en ronde, sans robe ni bijou ni sandale ; des Asiatiques aux yeux félins dont les boucles – noires de leur noir – et les bouches – roses de leur rose – flottent autour de moi, libres et rondes comme des plumes… Leur sourire provocant griffe mon sexe qui se tend, se dresse vers l’une d’elles, fourche écartée balançant mes pieds dans le vide – et je les possède toutes. Mes bras vont, viennent, parlent au vent, je vole et plane à ras d’un tapis d’herbes acajou, douces comme un duvet sous la caresse de la brise. Des étoiles, des planètes fusent de mes doigts. Un coup de vent, une saute soudaine m’enlèvent haut dans les airs : et je vois des villes, des peuples entiers surgis des quatre coins du monde s’allonger démesurément, avoir des pieds de cigognes et des visages humains, sculptés par moi. Je vois brusquement l’homme blanc qui m’a vendu et fait droguer, et je parle à mes frères asservis. Ils sont tout petits, tout noirs, avec des traits indiscernables. Je leur parle, leur dis que je vais travailler pour rien, mort sur l’état civil, chien drogué par la pourriture du monde – et je vois qu’ils regardent vers Saïf et pleurent. Je tiens soudain un sceptre. Je fais cesser la guerre secrète autour de l’argent. Saïf est anéanti sous les laves. L’argent est mort. Je fais cesser tout. Je lève mon sceptre : des lions avancent, agitent leurs crinières où se pavanent toutes les femmes que j’ai possédées, tous les hommes que j’ai dominés. Les Nègres ressuscitent. Les Juifs ressuscitent. En ressuscitant, tous les opprimés ont sauvé l’essentiel d’eux-mêmes. Le vent les regarde, le silence les écoute. Le ciel est noir indigo, et je me découpe sur un fond d’azur tombé des nuages. Je donne des ordres, ma parole a la puissance du Verbe. On me descend à terre. Je marche. Je m’avance. Je souris sans bouger les lèvres. Le fleuve me suit. L’onde me suit. Le soleil valse avec mes pas. Mes pas sont légers, ils tricotent dans le paysage et forment sous mon ombre immense des dessins, des ogives, des Lieux saints, des énigmes que moi seul déchiffre devant la forêt médusée. Les arbres arrêtent de parler, et leurs branches s’écartent à mon passage. Ma hache est sans pitié, et cogne les jaloux. Un lion halète tant il a marché : il est devant moi. Il rugit, tire la langue, avance à reculons et se perd à l’horizon. Il se juche au haut d’un arbre, devient une superbe panthère rose à la gueule en feu, rougeoyante sous une léchure de flamme :

« C’est le soleil qui se couche ».
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