Frère Jean, Marc-Alain Ouaknin, sœur Dominique, Jean Cocteau. Voici quatre de nos invités du mois : un moine orthodoxe, un rabbin, une dominicaine et un artiste tenaillé par Dieu. Le premier aime les fleurs ; il les photographie toutes, des plus communes aux plus complexes, du pissenlit au lys. Le deuxième aime la nature; il se ressource autour de l'étang de Mézières-Ecluzelles, près de chez lui, en Eure-et-Loir, où il échange avec les cygnes. La troisième aime les herbes aromatiques ; elle cultive le romarin, la verveine ou le lavandin. Le dernier aime les plantes médicinales ; il a peint les murs de sa dernière demeure, à Milly-la-Forêt (Essonne). de majestueux spécimens. Ainsi donc, tous consonent avec le pape François qui, dans sa célèbre encyclique 'Laudato si', publiée il y a cinq ans, souligne : "Dieu écrit un beau livre dont les lettres sont représentées par la multitude des créatures présentes dans l'univers" » (no 85).
(éditorial de Marie-Christine Vidal)
- Comment la prière s'articule-t-elle à votre travail, à votre vie ?
- Rabbi Nahman [de Braslav] disait : "De mes enseignements, faites des prières et de mes prières, faites des enseignements." Le moment de l'étude partagée est déjà un moment liturgique. C'est déjà là que se fait la rencontre avec le divin et que se trouve pour moi la dimension de la prière. Dans la prière à la synagogue, je rencontre moins Dieu et je m'ennuie. Cela n'empêche pas que, par courtoisie, je prie aussi à la synagogue. Pour ne pas embêter les gens qui ne comprendraient pas qu'un rabbin ne prie pas. Rabbi Nahman invitait ses disciples à aller dans la forêt la nuit, à écouter les herbes, le bruit du vent dans les peupliers, les loups qui hurlent à la lune... J'aime ce retour à soi dans l'esseulement, où l'on découvre l'infini qu'il y a en soi et notre petitesse dans l'infini du monde. À ce moment-là, un dialogue se joue avec l'infini de la nature et avec l'infini du « peut-être » de Dieu...
(Marc-Alain Ouaknin)
- La lecture, pour vous, c'est...
- Une façon de croire. Hélène Berr, notre Anne Frank française, a écrit : « Je crois trop aux livres. » Moi je crois qu'on ne croit jamais trop aux livres. Lire est une façon de se sentir moins seul, de réenchanter son quotidien. J'imagine les pratiquants qui vont à la messe. Après, ils se sentent à nouveau bien dans leur tête, dans leur coeur. C'est ce que je ressens en lisant.
(...)
- Une lecture que vous conseillez ces temps-ci ?
- "Que ma joie demeure", de Jean Giono, qui raconte une vallée qui a perdu le goût de la vie. Débarque un étranger qui aide les uns et les autres à se retrouver. L'étranger peut être notre planche de salut.
(Isabelle Carré, petite bibliothèque spirituelle)
- Comment votre relation à Dieu traverse-t-elle votre questionnement philosophique ?
-Je dis souvent que je suis rabbin et athée. Quand je dis cela, on croit que je me moque, que c'est une boutade. Alors, pour atténuer la surprise, J'ajoute avec humour : « Je suis athée, Dieu merci ! » Mais je prends cet athéisme tout à fait au sérieux. Pour moi, le judaïsme est une religion d'adultes. Je n'ai jamais rencontré un Dieu qui serait le Père Fouettard, le Dieu qui punit. Je ne crois pas à un Dieu comme une réalité outre-monde, qui dirigerait l'histoire et les consciences. Quand un enfant de cinq ans imagine Dieu comme un vieux grand-père sur son trône divin dans les nuages, gérant le monde avec un grand ordinateur puissant, je trouve cela enfantin et mignon. Mais quand un homme de cinquante ans a la même vision, c'est infantile. Je suis contre la théologie infantile et l'infantilisation du divin. Pour en sortir, l'athéisme est un bon outil critique.
(Marc-Alain Ouaknin)