Citations sur 188 mètres sous Berlin (21)
Elle ne savait prier qu'en polonais, ce qui n'a rien d'étonnant, au fond. Aujourd'hui, les allemands eux-mêmes prient en polonais, parce qu'à Berlin, dans les églises catholiques, on ne trouve plus que des prêtres polonais.
J’ai eu aussi comme élève une autre gamine, Dagmara qu’elle s’appelait. Elle n’arrêtait pas de me narguer avec Copernic. « C’est un Polonais, un Polonais ! » répétait-elle. Petite merdeuse ! Qu’est-ce qu’elle a pu me taper sur les nerfs : Copernic, c’est un Polonais, Chopin, c’est un Polonais…
Tous ces noms finissent par se mélanger. Normal ! Comment ne pas les confondre ? L’essentiel, ce n’est pas tant de se les rappeler, car il ne s’agit pas ici des noms, au fond, mais d’avoir de quoi alimenter sa mémoire. Demain, d’autres noms encore lui viendraient sans doute à l’esprit. Il a connu tant de gens dans sa vie. Il a eu tellement de classes…
Pour en revenir à Nadia, si vous aviez vu sa mère ! Elle se pointait aux réunions parents professeurs avec des jupes étonnamment courtes. La mère, je veux dire. Elle avait les yeux d’un bleu intense. Les paupières aussi. De gros seins qui ballottaient à chacun de ses mouvements. J’avais du mal à me concentrer. Pour finir, ma collègue Elwira m’a demandé comment je me sentirais, moi, si elle fixait sans cesse la braguette des hommes qui venaient aux réunions. J’ai donc essayé de regarder plus discrètement. Un jour, je l’ai même abordée, la mère de Nadia, mais elle ne comprenait pas bien l’allemand et esquissait un sourire mystérieux. J’ai définitivement laissé tomber le jour où j’ai vu son mari. Un type drôlement costaud. Une véritable armoire à glace russe !
Il poursuivra son récit, mais d’abord il va préparer du thé. C’est Magda qui le lui a appris. Une collègue de son école. Une vieille fille. Presque une Polonaise sur deux s’appelle Magda. Elle enseignait l’allemand. Une femme très gentille et très serviable. Un peu boulotte ! O Gott ! Toujours avec une brioche à la main. Et toujours dans le sillage du directeur. Oui, jusqu’à aujourd’hui, ils sont restés en contact. Cette femme a le cœur sur la main. Récemment, sa nièce est allée chercher des chats chez elle. Car Magda a plusieurs chats, elle les adore.
Pendant les premières secondes, il s’efforça de se convaincre que les rêves se réalisaient rarement, mais en vain. Il sentit que ce dont il avait rêvé, ou plus exactement le sentiment de danger qui l’avait réveillé, lui était on ne peut plus familier et provenait du temps de son enfance. Cela le rendit perplexe. Comment un sentiment qu’il n’avait pas ressenti depuis plusieurs dizaines d’années pouvait-il revenir si soudainement, et avec une telle intensité qui plus est ? Il ferma les yeux et durant quelques minutes s’efforça de respirer tranquillement. L’image lui apparut à nouveau : il est dehors, seul au milieu d’un champ ; partout règne la pénombre, le champ est gris. Le sentiment d’abandon, l’assurance absolue qu’il n’y a personne sur Terre l’emplissent de frayeur. Il se met à courir et à chercher, mais en vain, il sait bien qu’il est seul, qu’il ne peut compter que sur lui-même. Seul ! Une solitude terrible et oppressante, au point qu’il se réveille et ouvre les yeux.
En dépit de ses opinions sclérosées et diverses extravagances, Peter possédait une mémoire extrêmement rare, quasi photographique, qui lui permettait de lire des textes beaucoup plus vite que les autres et de mémoriser très facilement les visages. Comme on le devine aisément, ce don exceptionnel (bien que scrupuleusement caché pour de multiples raisons) se révélait particulièrement utile dans son travail. Néanmoins, il pouvait aussi mettre un terme prématuré à sa carrière. Peter s’efforçait de ne pas attirer l’attention, de doser ses aptitudes, afin que personne ne se doute de rien. Qui sait jusqu’où il serait grimpé dans la hiérarchie si le hasard ne s’en était pas mêlé.
Au cours de sa vie, Victoria a fait diverses choses qui n’ont que peu en commun avec ce que l’on appelle couramment l’honnêteté. Cela ne se manifeste pas à grande échelle, mais bien souvent elle ne réfrène pas sa curiosité : elle peut par exemple ouvrir une lettre si elle tombe sur une correspondance qui ne lui est pas destinée ou bien écouter une conversation. Dans des conditions normales, le moindre changement dans l’appartement de Klaus aurait éveillé sa vigilance, mais pas aujourd’hui.
Un homme habitué à boire depuis des années sait ce dont il a besoin, il sait qu’un demi-litre ne suffira pas, qu’il sera obligé de sortir en pleine nuit en quête d’une autre bouteille.
Ils ont devant eux le visage de quelqu’un de bien vivant, alors que cet homme, ils en ont la certitude absolue, n’est plus en vie, en aucun cas il ne peut être en vie.