Cette épopée couvre le début du XXème Siècle et ses bouleversements dans cet immense pays qu'était déjà la Russie et
Boris Pasternak, poète reconnu mais en disgrâce à la fin des années quarante, fait cohabiter dans ce grand roman épique la petite histoire du couple que forment Lara et Iouri, avec la Grande.
On entend bien dans les réflexions de Jivago, les propres désillusions de l'auteur quant à tous les espoirs qu'avaient suscités les idéaux menant à la révolution de 1905 puis à celle de 1917. Comme le laisse entendre les propos de Jivago p 332 à son interlocuteur qui, lui, parle de nécessité historique : "...j'ai été d'humeur très révolutionnaire, mais j'en suis venu à penser qu'on arrive à rien par la violence. On ne mène au bien que par le bien…", voilà des paroles proches du message des Evangiles. D'ailleurs l'interprétation des textes sacrés tient une place prépondérante dans les dialogues et les réflexions des personnages.
Tout au long de la lecture du Dr Jivago, on ne peut que souscrire à cette pensée à propos de la poésie de
Pouchkine p 358-59 : " Comme s'ils faisaient irruption par la fenêtre, la lumière et l'air du dehors, le bruit de la vie, les choses, les substances sont entrés dans le poème. Les objets du monde extérieur, ceux de la vie quotidienne, les noms communs, se pressant et se bousculant, ont pris possession du vers, boutant dehors les parties du discours moins précises. Et, en lisière du poème, se dresse la colonne des rimes : des objets, des objets et encore des objets."
Ce qu'on a coutume d'appeler l'âme slave, avec la place prépondérante qu'occupe la
poésie s'exprime entre autre dans la description que fait Pasternak des paysages comme p 445 où, tout en décrivant " le temps le plus affreux qui soit ", la suite n'est pas sans émouvoir tant la musicalité dans la narration enchante le lecteur : " L'averse fumait en glissant sans les imprégner sur les aiguilles vernies des conifères, comme sur une toile cirée. Les fils télégraphiques s'emperlaient de gouttes de pluie. Elles se pressaient l'une contre l'autre sans jamais tomber."
N'oublions pas que cette saga traverse une période troublée où les divisions de classes sont abolies, où toutes sortes de personnages se croisent et la gouaille du peuple donne aux dialogues un aspect truculent ce qui rend le récit très vivant. Là encore, je veux souligner la rigueur et le soin apportés au travail de traduction.
C'est de la bouche de Larissa, à propos de son époux Pacha que Pasternak nous livre un constat désenchanté de son époque p 502 : " Cette aberration collective s'était répandue partout, elle collait à tout. Tout se soumit à elle. Notre foyer ne résista pas à ce fléau. Il fut ébranlé. Au lieu de la vivacité insouciante qui y avait toujours régné, une stupide nuance d'emphase se glissa jusque dans nos conversations, une obligation à faire l'intéressant, à disserter sur des thèmes universels de commande. Un homme aussi fin, aussi exigeant que Pacha, capable entre tous de faire la différence, sans erreur, entre l'essence et l'apparence, pouvait-il passer à côté de cette imposture subreptice et ne pas la remarquer ? " . Malheureusement, il faut croire qu'il fut loin d'être le seul, et pas qu'à l'aube du XXème Siècle, au regard de l'Histoire…
C'est bien évidemment de la poésie qui va clore ce grand roman, 25 poèmes dont la plupart évoquent les saisons.
Alors lire ou relire cette oeuvre magistrale dans cette nouvelle traduction, je ne peux que vous y encourager !
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