Citations sur Les fabuleuses tribulations d'Arthur Pepper (61)
Lorsque j'étais avec elle, jamais je ne ressentais le besoin de me trouver avec qui que ce soit d'autre : je ne me demandais pas si c'était ou non la femme de ma vie, je ne voyais qu'elle. J'aimais la simplicité de notre quotidien. J'avais vingt-six ans quand nous nous sommes rencontrés, et elle vingt-cinq. Lorsque nous nous donnions la main, que nous nous promenions ou nous embrassions, je ne pensais qu'à elle. Jamais je n'ai serait-ce que regardé une autre femme. Nous nous sommes fiancés, puis mariés deux ans à peine après notre rencontre. C'était comme si je suivais la route invisible que le chemin avait tracée pour moi. Il existait bien d'autres sentiers de vie qui filaient en d'autres lieux, vers d'autres avenirs, mais jamais je ne me suis posé la question de savoir ce qu'ils avaient à m'offrir. J'allais mon chemin tout simplement.
La cuisine en hêtre véritable, refaite à neuf, disposait d'une cuisinière qui, avec ses boutons et autres options futuristes, aurait tout aussi bien pu avoir été dérobée à la NASA; d'ailleurs, Arthur ne l'utilisait jamais, de peur de voir la maison filer droit vers la Lune.
Bordée de panne de velours noire, la boîte évoquait richesse et décadence, mais ce fut le bracelet à breloques qu’il découvrit à l’intérieur qui le laissa bouche bée : d’or somptueux, il était fait de larges maillons et d’un fermoir en forme… de coeur. Une fois de plus.
Le plus singulier restait ces breloques attachées aux mailles du bracelet, comme les rayons d’un soleil de livre pour enfant. Il en compta huit : un éléphant, une fleur, un livre, une palette de peintre, un tigre, un dé à coudre, un coeur et un anneau.
L'es pace d'une seconde, il envisagea de reprendre sa vieille routine, histoire de donner un sens à sa journée : il se prit même à regarder sa montre pour voir s'il n'était pas l'heure de se préparer des tartines. Oh et puis merde ! se dit-il soudain. Il vivrait cette journée comme elle viendrait et verrait bien ce qu'elle aurait à lui offrir.
Cela faisait un an, jour pour jour, que sa femme était morte.
Les gens préféraient dire qu'elle était "partie", comme si le mot "morte" avait quelque chose de blasphématoire. "Partie". Arthur ne supportait pas cette formulation. Elle avait quelque chose de doux, de délicat : une péniche voguant, paisible, sur l'onde frémissante d'un canal ou une bulle de savon flottant dans la lumière d'une journée sans nuages, oui, c'était délicat, mais la mort de sa femme n'avait rien eu de cette douceur-là.
Il se passa deux doigts sous les yeux pour sécher de nouvelles larmes : il craquait. Sa vie avec Miriam n'avait été qu'une imposture...
Avant la mort de sa mère, jamais elle n'avait considéré ses parents comme des personnes âgées... C'était le cas, aujourd'hui. Si son père venait à perdre son autonomie au quotidien, elle allait devoir se mattre à chercher pour lui une aide à domicile, voire une maison de retraite. Elle se demanda combien de temps encore il aurait toute sa tête...
Elle déglutit en s'imaginant l'aider monter l'escalier, le nourrir, l'emmener aux toilettes. Elle qui rêvait de s'occuper d'un bébé, elle s'occuperait bientôt de son père.
Elle se leva et, les genoux flageolants, elle se dirigea vers l'entrée du jardin : en plus de tout ce qui, dans sa vie, avait tourné au vinaigre, elle se retrouvait à devoir affronter la sénilité de son père.
Il se demanda ce qu'aurait dit Lucy si elle l'avait vu ici, trempé jusqu'aux os, à sauver la vie d'un crabe : " Tu vas attraper la mort ! Viens te mettre au chaud !".
C'est ce qu'il lui aurait dit, d'ailleurs, quand elle était enfant.
Cette inversion des rôles avait un goût étrange ....
- Le fait est, Arthur, qu'il m'arrive de me sentir seule.
J'ai l'impression que la vie file sur ses rails sans que j'ai pu monter à bord...
Lorsqu'il tendit le bras vers la longue poignée cuivrée, son regard se posa sur le dos de sa main, sur sa peau translucide aux veines bleues qui dessinaient sur ses os comme une carte de réseau routier. Il avait les ongles épais et jaunis ... Quand il découvrit son reflet dans la vitre de la porte, il n'y trouva pas ce jeune homme qui avait épousé Miriam, mais un vieillard aux cheveux blancs trop épais, ridé comme une noix.
Le temps avait filé si vite ....