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Citations sur L'Eau rouge (60)

Le 30 avril est le jour de l'anniversaire de Silva et de Mate. Le 30 avril 1990, Silva a dix-huit ans. Ou qu'elle se trouve, quoi qu'elle fasse, Silva est maintenant majeure.
Jakov s'est réveillé ce matin-là en sachant que ce serait une dure journée. Et ça l'a été.

Pour un enfant vivant, un anniversaire, ça s'organise. Les parents préparent un gâteau, montent une petite fête avec des bougies et une tombola. Pour l'anniversaire d'un enfant mort, les parents vont au cimetière. Ils achètent des chrysanthèmes qu'ils déposent sur sa tombe.

Silva, elle, n'est ni morte ni vivante. Silva a disparu. Et pour une personne disparue, vous n'allez pas au cimetière, vous ne préparez pas de gâteau. Vous ne pouvez rien fêter avec elle, vous ne pouvez rien fêter avec elle, vous nez pouvez pas la pleurer, vous ne pouvez pas échanger avec elle ou échafauder des projets. Si Silva n'avait pas disparu, ils parleraient avec elle de ses études futures, de son permis de conduire, de sa place à la cité universitaire. En lieu et place de Silva vivante, ils ont maintenant une photo d'elle. Vesna l'a placée à un endroit visible, au-dessus de la table de la salle de séjour. Elle l'a placée là comme le rappel constant qu'ils ne sont pas au complet, qu'il leur reste en permanence une tâche à accomplir, un manque à combler. Elle ne l'a pas installée sur la table basse ou sur le buffet. Car sur la table, on pourrait disposer une petite bougie devant la photo. Sur un mur, non. Or Silva est vivante, et on n'allume pas une bougie devant la photo d'un vivant.
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Mate se rend dans le centre du bourg. Il va à l’église, mais elle est fermée. Il fait le tour des cafés. C’est dimanche, il fait chaud, et tous les habitants sont assis aux terrasses. Les marins en congé, les étudiants en vacances, les gars du coin derrière leurs Ray-ban, les employés et les chômeurs, tout le monde est là, à se prélasser comme des lézards dans la chaleur, tout en discutant politique et en dégustant un café serré. Elle seule n’est pas là. Silva n’est nulle part.
Finalement, Mate se dirige vers le seul endroit où il pourrait encore la trouver : la boulangerie du père d’Adrijan. C’est l’après-midi et la boulangerie est fermée. Il passe par la cour et trouve le vieux Lekaj à la poursuite d’un rêve sous le figuier après sa nuit de labeur. Il le salue depuis la porte et le vieux Lekaj lui répond par un marmonnement ensommeillé. Il traverse la cour et entre dans la maison.
À peine aperçoit-il Adrijan, Mate sait que Silva n’est pas avec lui. Il le trouve affalé sur le canapé. Il est nu jusqu’à la taille, vêtu d’un simple short Adidas. Il regarde un match de la ligue italienne de football à la télévision. Quand Mate entre dans la pièce, Adrijan le regarde avec étonnement.
Mate demande à Adrijan où est Silva, et une expression de gêne se dessine sur le visage du garçon.
Il ne sait pas où elle est. C’est vrai, dit-il, ils étaient ensemble hier soir. Oui, ils ont dansé jusqu’à onze heures. Et Silva a proposé, aux alentours de onze heures, qu’ils aillent faire un tour à l’écart. C’est comme ça qu’il a dit, faire un tour à l’écart, et il est visiblement très embarrassé. Oui, dit-il, ils sont restés ensemble jusque vers une heure. Ils ont été au cap de la Croix. Là-haut, sur la butte, au-dessus de la citerne.
Ils étaient sur le belvédère, au niveau de la grande croix. À l’endroit – l’un et l’autre le savent – fréquenté par des générations de Mistaniens pour leurs ébats sexuels de contrebande. Mate – il se souvient de cela – s’est aussitôt senti submergé de honte. Parfois il ne comprend pas sa sœur.
– Quand vous êtes-vous quittés ? demande-t-il en essayant de rester détaché.
– Autour de minuit et demie, une heure. Silva a dit qu’elle devait rentrer, qu’il fallait qu’elle se dépêche.
– Qu’elle se dépêche de rentrer à la maison ?
– Elle a dit qu’elle devait se lever tôt, car elle partait en voyage.
– Elle partait en voyage ? Où ça ? demande Mate.
– Je n’en sais rien, répond Adrijan. C’est plutôt tes parents et toi qui devriez le savoir.
Mate à cet instant pressent pour la première fois que quelque chose ne tourne pas rond. Alors qu’à la télévision, baissée à mi-volume, un journaliste sportif salue un but de la Fiorentina contre l’Inter, ou bien de l’Inter contre la Lazio, il éprouve pour la première fois une sensation de plomb dans son estomac. Le sentiment d’un malheur imminent.
Il quitte précipitamment la maison des Lekaj. Passe près de l’église et grimpe la rue qui mène chez eux. Entre en courant dans la maison. Trouve ses parents attablés dans la cuisine, qui attendent. Il ne leur dit pas un mot et file dans la chambre de Silva. Ouvre le tiroir de son bureau.
Dans le tiroir, il n’y a rien. Ni son porte-monnaie, ni son répertoire téléphonique, ni son passeport.
Il sait que Silva a une cachette. Il sait aussi qu’elle garde planqué l’argent qu’elle économise. Il se penche sous l’armoire et attrape une boîte en bois dans le double fond d’un tiroir. Il l’ouvre.
La boîte est vide. Il n’y a dedans ni argent ni rien d’autre.
Il retourne dans la cuisine. Il s’assoit à la table. Et il dit une phrase. Il la dit le plus calmement possible, pour ne pas susciter plus de panique. Il dit à ses parents qu’il pense qu’il faudrait appeler la police.
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Ce qui va suivre, Vesna s’en souvient comme un film qu’elle va dérouler dans sa tête un millier de fois. Elle se souvient d’elle-même en train de faire la vaisselle dans l’évier. De Mate qui secoue la nappe, balaie les miettes sur le sol. De Jakov assis à table, absorbé dans les mots fléchés du Slobodna Dalmacija. Pendant que Jakov résout sa grille, Silva s’en va dans sa chambre. Elle revient, habillée pour sortir. Vesna se souvient exactement comment elle est vêtue. Elle la voit encore aujourd’hui, comme si Silva était là devant elle : une robe très courte avec un motif à fleurs, des baskets montantes rouges, un large sac en bandoulière. Sous le bras, un imper rouge. Car c’est l’été indien et les nuits en bord de mer peuvent être frisquettes.
Et voilà l’instant. Silva est près de la porte, dans sa robe à fleurs, ses baskets aux pieds. Elle se tient debout, comme si elle attendait qu’on l’applaudisse, et prononce trois mots brefs. Elle dit : « J’y vais. »
– Tu sors avec qui ? demande Jakov. Avec Brane ?
– Non, répond Silva, pas aujourd’hui. Il n’est pas là, il est à Rijeka, pour s’inscrire à la fac nautique. Il rentre demain.
– Et tu vas où ? demande son père.
– En bas, dans la baie, je vais à la fête, répond-elle. Ne m’attendez pas, je rentrerai tard.
– Fais attention à toi, lui dit Jakov.
Il a dit à sa fille de faire attention à elle, et aujourd’hui encore Vesna se demande pourquoi il lui a dit ça.
Silva rajuste une bretelle, relève son sac, puis dit très vite et négligemment : « Allez, salut. » Puis elle franchit la porte, rapide et silencieuse comme le zéphyr.
Elle sort et Jakov n’y prête aucune attention. Pendant que sa fille s’en va, il est assis à table, plongé dans ses mots fléchés, il ne lève pas la tête. Pendant que sa fille s’en va, Vesna s’emploie à essuyer les assiettes avec un torchon. Même aujourd’hui elle ne sait pas si elle lui a adressé un regard. Elle est presque sûre qu’elle n’a pas répondu à son salut.
Parce que, alors, elle ne pouvait pas savoir. Maintenant, elle sait. Cet instant où Silva a dit Allez, salut et fait virevolter sa robe vers la sortie, c’est la dernière fois qu’ils l’ont vue.
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Vesna se souvient de tout cela. Elle se souvient de ces quatre personnes assises autour de la table de la cuisine, sous le Jésus endormi et les paysages canadiens du calendrier. Le crépuscule tombe sur Misto, on entend les essais de sonorisation pour la fête des pêcheurs qui aura lieu dans le petit port. Elle se souvient de ces quatre ombres en train de dîner, qui goûtent au repas, se versent du vin, discutent. Jakov va se lever, déposer les assiettes dans l’évier et ranger le vin dans le buffet. Silva va quitter la table et se traîner avec paresse et langueur jusque dans sa chambre.
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[...] Qu'est-ce que tu nous a fait ? pense-t-il. Qu'est-ce que tu as fait de notre vie, Silva ? Qu'est-ce que tu as fait de nous ?
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[...] Ce qui nous est arrivé, ça nous a détruit.
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[...] Sept mois ont passé. Silva est devenue lentement ce qu'on appelle de l'histoire ancienne.
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[...] Il se comporte comme si Silva était partie en vacances, comme si elle était allée faire des courses au magasin du coin et qu'elle avait laissé un message je reviens tout de suite.
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[...] Pendant vingt-sept ans, Yahvé nous a tous punis. Le châtiment c'est tout cela : l'usine en faillite, la coopérative en faillite. La guerre et le colonel.
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Des navires de mini-croisière se balancent le long de la digue, avec des serviettes suspendues au bastingage. Des grappes de jeunes gens sac au dos font le siège du guichet des trajets internationaux. Ils volent d’un coin à l’autre de l’Europe, d’Écosse en Grèce, de Danemark en Italie, d’Italie en Écosse. Parmi eux, quelque part, il doit bien y avoir aussi sa fille. Quelque part en un point de ce guêpier labyrinthique, de cette ruche humaine.
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